Grande hippolyte d'herbier

Hippolyte inermis | Leach, 1816

N° 1785

Manche, Atlantique, Méditerranée

Clé d'identification

Petite crevette rectiligne de 2 à 4 cm
Couleur verte intense, rarement autre
Sur les feuilles de zostères ou de posidonies
Rostre long et droit sans dents dorsales

Noms

Autres noms communs français

Crevette des herbiers, crevette d’herbier, hippolyte verte, grande hippolyte

Noms communs internationaux

Grass shrimp, great seagrass shrimp (GB), Gamberetto verde della posidonia (I), Quisquilla de pradera (E), Gambeta d'alguer (Catalan), Seegrasgarnele (D), Zeegrasgarnaal, grote zeegrasgarnaal (NL), Camarão (P)

Synonymes du nom scientifique actuel

Hippolyte prideauxiana (pro parte, ce qui signifie que certaines des descriptions données pour H. prideauxiana se rapportent en fait à H. inermis).
Hippolyte viridis (Otto, 1821)
Hippolyte mauritanicus Lucas, 1849
Hippolyte gracilis var. viridis Chichkoff, 1912

Distribution géographique

Manche, Atlantique, Méditerranée

Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Méditerranée française], ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises]

La grande hippolyte d'herbier se rencontre dans toutes les mers côtières européennes entre 33° Nord et 55° Nord, c'est-à-dire de l’Irlande et de l’Angleterre à Casablanca au Maroc et peut-être aux Canaries (un seul signalement) ainsi que dans pratiquement toute la Méditerranée. Les signalements de mer Noire semblent reposer sur des erreurs d’identification. Elle est présente sur les côtes de Bretagne-Nord, mais semble absente de Manche orientale ; le Cotentin représente donc une barrière géographique pour elle.

Biotope

Cette crevette très commune habite presque exclusivement les herbiers de phanérogames marines, zostères en Manche et Atlantique ou posidonies (et rarement cymodocées) en Méditerranée. Elle se rencontre parfois dans les algues photophiles et les algues en épaves roulées (voir ci-après). Elle est commune près de la surface et se raréfie avec la profondeur ; il y a des signalements jusqu’à 54 m.

Algues en épaves roulées : arrachées par les tempêtes, broutées par les Gastropodes ou pour d'autres raisons, des algues se détachent du substrat et sont emportées au loin. Les unes flottent et vont s'échouer en donnant les "laisses de mer", d'autres coulent et se rassemblent dans des creux à quelques dizaines de mètres de profondeur, en fonction des courants de marée. Ces algues "roulées" par les mouvements de l'eau forment de grands amas mouvants en ripple-marks.

Description

La grande hippolyte d'herbier est une petite crevette (maximum 42 mm chez les femelles) ; les mâles sont beaucoup plus petits que les femelles.
Sa silhouette est élancée comparativement aux autres espèces du même genre et plutôt rectiligne : la flexion concave est très faible au niveau du 5ème segment abdominal.

L’animal est le plus souvent vert intense (sa couleur la plus typique) ponctué de chromatophores* bleus et de petits chromatophores rouges. Il peut à l'occasion être de n’importe quelle autre couleur, en particulier en hiver (rouge, brun, gris, noir, violet, transparent ; avec une livrée uniforme ou hétérogène). La livrée colorée présente parfois des taches roses faisant penser à des mélobésiées (algues rouges calcaires encroûtantes). Une ligne médio-dorsale blanche ou sombre est fréquente.

Un examen rapproché permet de remarquer les détails anatomiques suivants :

Le rostre est long et droit, légèrement dirigé vers le bas chez les plus gros spécimens ; il atteint ou dépasse l’extrémité des écailles antennaires*. Il ne présente typiquement aucune dent dorsale (sauf parfois une faible dent ou un vague décrochement chez les jeunes) et porte 2 à 4 dents sur le bord ventral.

Les pattes antérieures (P1) sont grosses et très courtes. La seconde paire de pattes locomotrices (P2) a le carpe (segment après le “coude” correspondant à notre “avant-bras”) divisé en 3 articles. Les pattes postérieures (P3 à P5) ont une “envergure” correspondant souvent à la largeur des feuilles sur lesquelles se trouve l’animal. Le corps est glabre.

Espèces ressemblantes

Une douzaine d’autres espèces d’hippolytes existent en Europe mais la grande hippolyte d'herbier est pratiquement la seule à avoir un aspect droit et très allongé. En Manche et Atlantique, l’hippolyte commune Hippolyte varians est une espèce aux multiples colorations (d’où son nom vernaculaire de caméléon de mer) assez régulièrement observée sur la côte parmi les algues photophiles. En Méditerranée, l’hippolyte de Holthuis Hippolyte holthuisi et l’hippolyte bossue Hippolyte leptocerus se rencontrent également à faible profondeur.

Alimentation

Espèce à tendance herbivore/omnivore, se nourrissant de macrophytes présents à la surface du substrat où elle se tient.

Reproduction - Multiplication

La différenciation sexuelle intervient à la taille de 5 à 7 mm.

Le mode de reproduction de cette espèce a été et est toujours débattu. Selon certains auteurs, ce serait un hermaphrodite* protandre* (d’abord mâle, puis femelle) avec un déterminisme très particulier. L’inversion sexuelle, dépendante de l’alimentation en micro-algues (diatomées du genre Cocconeis), se ferait à la taille de 10-13 mm (soit à un âge de 7 à 12 mois). Seuls certains individus changeraient de sexe. Il y aurait 2 types de femelles, les alpha (femelles secondaires issues de mâles) et les beta (femelles ne changeant pas de sexe). D’autres auteurs pensent qu’il n’y a pas de changement de sexe. Les deux processus reproductifs peuvent d’ailleurs être valables dans des endroits différents...

En Manche-Atlantique, les femelles sont ovigères de juillet à novembre. La période de ponte commence beaucoup plus tôt en limite sud de distribution (en mars au Maroc). Les œufs ont un diamètre de 0,39 x 0,51 mm. L’éclosion des larves se fait au stade zoé* ; les larves (sept stades zoé* et mysis* et un stade mégalope*) sont planctoniques ; la durée du développement larvaire varie en fonction de la température. Les mâles vivraient environ 8 mois et les femelles environ 12 mois.

Vie associée

Association très fréquente avec des phanérogames marines comme la zostère marine Zostera marina Linnaeus, la posidonie Posidonia oceanica (Linnaeus) Delile, la cymodocée Cymodocea nodosa (Ucria) Ascherson et les algues comme les cystoseires Cystoseira sp., la sargasse japonaise Sargassum muticum (Yendo) Fensholt, le gélidium agar Gelidium sesquipedale et la monnaie de Poséidon Halimeda tuna (Ellis & Solander) J.V. Lamouroux.

Ses prédateurs sont peu connus, probablement les poissons des herbiers : labridés (girelles, girelles-paons, vieilles, crénilabres, sublets...), sars, syngnathes, siphonostomes et hippocampes, jeunes pagres, castagnoles, jeunes dentis, serrans-chèvre et serran écriture, daurades, corbs, mendoles ..., les céphalopodes (seiches, sépioles), et les plus gros crustacés (crabes nageurs).

L’espèce est occasionnellement parasitée par deux crustacés isopodes épicarides, l’un branchial, le bopyre ocellé Bopyrina ocellataBopyrina ocellata (Czerniavsky, 1868) et l’autre ventral, le bopyre abdominal Hemiarthrus abdominalis (Kröyer, 1840) [= Phryxus virbii (Giard & Bonnier, 1887)]. Le bopyre ocellé a été donné comme provoquant la stérilité des crevettes infestées ; ce parasite branchial est lui même hyperparasité en Méditerranée par un autre épicaride, le cabirops marsupial Cabirops marsupialis (Caroli, 1953).

Divers biologie

La grande hippolyte d'herbier est mimétique et se déplace peu ; elle pourrait faire des migrations limitées en profondeur. Elle se tient immobile sur son support, assez souvent à l’envers, la tête en bas, sur les feuilles. Très généralement, la couleur de cette crevette correspond à celle de l’algue où elle se trouve.
Pourquoi ?
Dans le cas présent, ce n’est pas la crevette qui adapte sa couleur au milieu environnant (comme le font crevettes grises et crevettes roses), mais c’est la crevette qui choisit son support en fonction de sa couleur. Des expériences au laboratoire ont montré que l’hippolyte nage jusqu’à ce qu’elle trouve une algue dont la couleur correspond à celle de son corps. La crevette n’aurait cependant pas conscience de sa propre couleur mais aurait la capacité de comparer la couleur de son corps (qu’elle perçoit grâce à ses yeux pédonculés) avec la couleur du substrat. Il ne s’agirait d’ailleurs pas d’une vraie vision des couleurs mais d’une perception des valeurs (tonalités de gris).

Comme la plupart des autres crevettes hippolytes, cette espèce présente des variations de la coloration. D’une part, il existe des variations nycthémérales* (= en fonction du jour et de la nuit) de la coloration, cette dernière étant prononcée le jour et pâle-translucide la nuit, avec une transparence bleutée dûe à la diffusion de caroténoprotéines. D’autre part, les livrées pigmentaires peuvent évoluer en cours d’année en fonction de la végétation environnante ; en hiver, les colorations brunes, jaunâtres, violettes voire noires sont plus fréquentes qu’en été.

Origine des noms

Origine du nom français

Le nom de grande hippolyte d'herbiers est une proposition de P. Noël.
Grande : c'est la plus grande des hippolytes européennes.
Hippolyte : Il s'agit d'un nom commun chez les crevettes appartenant à la famille des Hippolytidés.
D'herbier : en référence à l’habitat préférentiel de l’espèce (cymodocées, zostères et posidonies).

Origine du nom scientifique

Hippolyte : nom tiré de la mythologie grecque. Hippolyte était la reine des Amazones. Comme neuvième de ses Douze Travaux, Hercule reçut l'ordre de dérober sa ceinture (zoster en grec) et choisit comme d'habitude la manière forte : tuer Hippolyte pour s'approprier le trophée. C'est en lui donnant le coup de grâce qu'il échangea un regard avec sa victime et réalisa en un éclair qu'il venait de tuer la femme de sa vie. Selon une légende plus tardive, Hippolyte est le fils de Thésée et d'une Amazone nommée Antiope, et suscite une passion fatale chez sa belle-mère, la pauvre Phèdre, épouse de Thésée.

inermis : du latin [inermus] = sans épines, sans armes. Se réfère à l’absence de dents du bord dorsal du rostre.

Classification

Numéro d'entrée WoRMS : 107511

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Arthropoda Arthropodes Animaux invertébrés au corps segmenté, articulé, pourvu d’appendices articulés, et couvert d’une cuticule rigide constituant leur exosquelette.
Sous-embranchement Crustacea Crustacés Arthropodes à exosquelette chitineux, souvent imprégné de carbonate de calcium, ayant deux paires d'antennes.
Classe Malacostraca Malacostracés 8 segments thoraciques, 6 segments abdominaux. Appendices présents sur le thorax et l’abdomen.
Sous-classe Eumalacostraca Eumalacostracés Présence d’une carapace recouvrant la tête et tout ou partie du thorax.
Super ordre Eucarida Eucarides Présence d'un rostre.
Ordre Decapoda Décapodes La plupart marins et benthiques. Yeux composés pédonculés. Les segments thoraciques sont fusionnés avec la tête pour former le céphalothorax. La première paire de péréiopodes est transformée en pinces.  Cinq paires d'appendices locomoteurs (pinces comprises).
Sous-ordre Caridea Caridés Les Caridés sont caractérisés par des pléopodes natatoires. C'est à ce groupe qu'appartiennent une grande partie des espèces de crevettes.
Famille Hippolytidae Hippolytidés
Genre Hippolyte
Espèce inermis

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