Jorunna blanche

Jorunna tomentosa | (Cuvier, 1804)

N° 1374

Méditerranée, Manche, Atlantique, mer du Nord

Clé d'identification

Grand doridien, de forme relativement "rectangulaire"
60 mm de long au maximum
De couleur blanche, penchant vers le crème, le gris, ou le rose
Robe pouvant porter des taches sombres
Manteau recouvrant généralement tout le pied
Rhinophores et branchies de même couleur que le corps

Noms

Noms communs internationaux

White jorunna (GB), Iorunna (I), Schwamm-Sternschnecke (D), satijnslak (NL)

Synonymes du nom scientifique actuel

Doris johnstoni Alder & Hancock, 1845
Archidoris johnstoni (Alder & Hancock, 1845)
Jorunna johnstoni Bergh, 1881

Distribution géographique

Méditerranée, Manche, Atlantique, mer du Nord

Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Méditerranée française], ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises]

Océan Atlantique Est, depuis le sud de la Norvège jusqu'au Cap en Afrique du Sud, en passant par les côtes françaises ; la mer du Nord…
Méditerranée, principalement en son bassin occidental.

Biotope

Il se rencontre des eaux de surface jusqu'à plus de 400 mètres. Son environnement est celui qui accueille également les espèces d'éponges dont Jorunna tomentosa se nourrit : tombants, herbiers, pierriers…

Description

Doridien relativement grand, Jorunna tomentosa peut atteindre la longueur de 55 à 60 mm. Trapu et de forme assez "rectangulaire", il est de couleur plutôt uniforme mais variable entre blanc, crème, gris et rosâtre. On en connait également qui sont franchement orange (notamment en sa distribution atlantique). Souvent quelques petites taches foncées sont visibles sur les flancs et/ou le dos. L'aspect général apparaît un peu rugueux, comme velouté à légèrement granuleux, évoquant un peu la texture d'une éponge. Une observation rapprochée permet de distinguer un manteau recouvert de petits tubercules spiculeux*, offrant effectivement une certaine rugosité au toucher.
Ce manteau recouvre entièrement le pied qui n'est donc généralement pas immédiatement visible.
Sur l'avant de l'animal, les deux rhinophores* à lamelles portent la même couleur que le corps, avec une pointe blanche distincte à l'apex. Leur fourreau est peu visible à leur base. Les tentacules oraux, souvent invisibles sous le manteau, sont courts et de la même couleur générale.
A l'arrière du corps, on peut observer le panache branchial, disposé en une forme évoquant un peu une coupe ronde, un bol circulaire. Ce panache est constitué de branchies en 17 feuilles finement ramifiées, également de la couleur du corps. En cas de danger, Jorunna tomentosa, comme tous les Cryptobranches*, peut rétracter ce bouquet branchial dans une poche spéciale. Au centre de ce panache branchial se trouve l'anus, au sommet d'une structure en forme de cône.

Espèces ressemblantes

Une étude de fin 2021 (Neuhaus et al.) sur les gènes mitochondriaux des Jorunna d'Europe laisserait entendre que Jorunna tomentosa aurait une espèce sœur : Jorunna artsdatabankia Neuhaus, Rauch, Bakken, Picton, Pola & Malaquias, 2021 (se distinguant par une couleur de fond unie blanche à jaune avec de petites taches brunes irrégulièrement placées, des dents radulaires* lisses et un canal déférent plus long, un vagin plus large et une épine copulatrice plus longue que J. tomentosa). L'article évoque également et une possible spéciation* en cours à partir de J. tomentosa. N'ayant pas encore pu avoir accès à l'article. Nous n'en disons rien de plus pour l'heure.
Sinon, dans les espèces ressemblantes par un trait ou un autre avec J. tomentosa, citons :

  • Jorunna onubensis Cervera, García y García-Gómez, 1986 (Jorunna de velours). Espèce présente en Méditerranée (Andalousie) et peut-être dans le proche Atlantique (Côtes espagnoles jusqu'à l'archipel des Canaries ?).
  • Esthétiquement très ressemblante à J. tomentosa, même si un peu plus petite (max = 35 mm), sa couleur varie autour du brunâtre plus ou moins clair. N'a pas de points noirs sur les flancs. Compte tenu du peu de fréquence du taxon dans la littérature traitant de la Méditerranée, il est possible que Jorunna onubensis Cervera &al, 1986, peu documentée, ne soit en fait qu'un synonyme ou une sous-espèce, ou bien encore qu'elle recouvre plusieurs espèces. Taxon à surveiller.
  • Jorunna luisae (Marcus, 1972) (jorunna de Luisa) est également une espèce du bassin méditerranéen.
  • Geitodoris planata (Alder & Hancock, 1846) (Geitodoris étoilée).
    Espèce atlantique et méditerranéenne, généralement de couleur brune, qui possède un manteau recouvert de petites spicules. Sur ce manteau, on peut voir jusqu'à une douzaine de taches plus claires, en forme d'étoile.
  • Geitodoris planata (Alder & Hancock, 1846) (Geitodoris étoilée). Espèce atlantique et méditerranéenne, généralement de couleur brune, qui possède un manteau recouvert de petites spicules. Sur ce manteau, on peut voir jusqu'à une douzaine de taches plus claires, en forme d'étoile.
  • Rostanga rubra (Risso, 1818) (Doris rouge).Se rencontre en Méditerranée ainsi que dans l'Atlantique proche (du Cap Vert jusqu'aux Iles Britanniques, la Norvège, etc). Assez petit (max : 20 mm), son manteau est aussi « velu » que celui de Jorunna tomentosa mais il est de couleur rouge-orange. Ses rhinophores sont blanc crème et sont recouverts de tubercules de couleur crème au niveau des fourreaux. Taille et couleurs évitent la confusion.
  • Peltodoris atromaculata (Bergh, 1880) (Doris dalmatienne). Si le revêtement du manteau montre également des aspérités fines, un aspect rugueux visible à l'œil nu, la robe de Peltodoris atromaculata est assez différente de celle de Jorunna tomentosa pour ce qui est de son graphisme et c'est un critère généralement suffisant pour la discrimination des deux espèces. En effet, le doris dalmatien (son nom vernaculaire est très explicite) possède une robe à fond blanc et présente toujours des taches marron foncé, de différentes tailles, réparties sur tout le manteau et de formes plutôt irrégulières, les plus grosses macules étant souvent d'assez grand format (jusqu'à recouvrir presque tout le manteau dans certaines régions orientales de Méditerranée). La forme de l'animal est souvent plus plate, moins haute chez le doris dalmatien que chez la jorunna blanche.
  • Doris pseudoargus Rapp, 1827 (Doris citron) Il peut éventuellement se confondre avec les version très orangées de Jorunna tomentosa. En ce cas, l''identification est simplifiée par l'observation de la texture tégumentaire (chez D. pseudoargus, le dos est recouvert de tubercules épais et spiculeux de différentes tailles) et la présence des taches sombres (présentes sur le notum de Jorunna tomentosa).
  • Discodoris rosi Ortea, 1979. (Doris de Ros ou doris orange). Doridien se rencontrant en Méditerranée et sur les côtes atlantiques françaises. Manteau de même aspect spiculeux que Jorunna tomentosa mais de couleur variable voisine de l'orangé. Les dessins, sur ce manteau, sont constitués de nombreux et fins anneaux blancs distinctifs.
  • Discodoris confusa Ballesteros & al, 1985. Fréquente la Méditerranée et l'Atlantique proche. Visuellement proche de Jorunna tomentosa, de taille plus ou moins similaire, il porte par contre des taches grises à brunes plus nombreuses sur son dos blanchâtre ; ses branchies et ses rhinophores sont jaune pâle à bruns et se détachent souvent sur la couleur différente du manteau.
  • Cadlina laevis (Linnaeus, 1767) (Cadeline blanche).Avec une distribution large, allant des eaux très nordiques de l'Atlantique, y compris les régions arctiques Ouest et Est, jusqu'à la mer Méditerranée, ce doridien montre aussi un aspect tuberculé, pileux, au niveau du manteau. Celui-ci est blanc et une série de petits points jaunes tourne autour du manteau, près de la marge. Ses rhinophores lamellés sont assez longs et l'animal dépasse rarement les 40 mm. Branchies jaune pâle et souvent rétractées.


Il existe d'autres doridiens encore, fréquentant les mêmes zones géographiques que Jorunna tomentosa et présentant également cet aspect pileux, rugueux, hérissé, qui est propre au genre. Mais soit les animaux sont de trop petite taille pour être confondus (par ex : Trippa rugosa (Pruvot-fol, 1951) environ 20 mm), soit les tubercules spiculeux du dos sont de tailles visiblement trop grosses par rapport à notre jorunna (par ex : Acanthodoris pilosa (Abildgaard in O.F. Müller, 1789)), soit les couleurs ne permettent pas la confusion (par ex : Doriopsilla areolata Bergh 1880).

Par ailleurs, il existe des espèces de Jorunna esthétiquement proches de J. tomentosa, mais leurs distributions respectives suffisent généralement à lever le doute. Parmi elles, on peut citer :
Jorunna spazzola (probablement Méditerranée mais surtout Atlantique Ouest, du Brésil, Mexique, Costa Rica aux Bahamas), Jorunna alisonae (Indo-Pacifique, de l'Indonésie à Hawaï), Jorunna ramicola (Indo-Pacifique), Jorunna osae (Côtes Pacifiques du Costa Rica -son nom vient d'ailleurs de l'aire de conservation naturelle d'Osa, au Costa Rica), Jorunna tempisquensis (Mexique et Costa Rica, côté Pacifique -son nom également vient de l'aire de conservation de Tempisque, au Costa Rica).

Alimentation

Comme tous les membres de sa famille, Jorunna tomentosa se nourrit de spongiaires. Ses proies principales appartiennent notamment aux genres Halichondria et Haliclona (probablement également Hemimycale columella, Cliona celata…).

Reproduction - Multiplication

La reproduction est sexuée.
Il en va pour Jorunna tomentosa comme pour l'ensemble des Nudibranches : les individus sont hermaphrodites et possèdent donc les deux sexes, simultanément fonctionnels.
L'accouplement se fait toujours deux à deux dans un rapport proximal, les individus se présentant tête-bêche sur leur côté droit. En effet, les organes de reproduction, oviducte* et spermiducte*, débouchent conjointement en un « pénis » copulatoire situé derrière la partie céphalique, du côté droit du pied.
La période de reproduction va approximativement de février à août. Les deux partenaires échangeront leurs spermatozoïdes respectifs puis se quitteront. La fécondation sera interne et chacun pourra ensuite pondre de son côté, souvent sous la face inférieure des pierres.
La ponte de Jorunna tomentosa est rubanée, mince et très onduleuse, présentée en spirale plutôt jaunâtre à blanche. Elle contient des milliers d'œufs (jusqu'à 145 000 oeufs [Thompson et Brown, 1984]).
Au bout de trois semaines une larve véligère* en sortira. Elle appartiendra au plancton quelques temps, puis se transformera jusqu'à se poser sur le substrat et devenir un animal adulte.

Divers biologie

Les Nudibranches sont munis de divers organes des sens. Parmi ceux-ci, la paire de rhinophores se trouve sur la tête de l'animal. Ce sont des organes d'usage principalement chimique, qui servent notamment à appréhender l'environnement selon cet aspect physique : présence de proies, de congénères, échanges d'informations… Ils servent également à la prise d'informations concernant les courants, les températures, l'orientation, etc. D'autres appendices, comme des palpes situés prés de la bouche, ont une fonction plus tactile.

A l'instar de la grande majorité des Nudibranches, a fortiori des Doridiens mangeurs d'éponges, notre Jorunna tomentosa possède une radula, sorte de bande râpeuse située dans la bouche et qui lui permet de ronger ses proies afin de se nourrir. Il s'agit d'un ensemble de denticules organisés selon un schéma spécifique à l'espèce. L'observation au microscope de cette radula est primordiale dans la discrimination et la taxonomie des espèces.

L'aspect velouté, légèrement velu, voire rugueux au toucher, propre aux membres du genre Jorunna est dû à la présence d'un tissu de spicules (par milliers, spécifiquement nommées caryophyllidia*) uniformément réparties dans le tégument superficiel du manteau. Les bords de ce manteau sont structurés un peu différemment que le dessus du dorsum*.
En règle générale, les spicules des Doridiens (Doridina) sont principalement composés de calcite (CaCO3) et de brucite (Mg (OH)2), avec un petit pourcentage de fluorite (CaF2) et ce, même s'il existe d'évidentes différences d'une espèce à l'autre ou d'une latitude géographique à l'autre, dans une proportion inter-éléments néanmoins assez régulière.
On sait qu'il est maintenant faux de croire que les spicules du manteau (pas uniquement d'ailleurs) des doridiens proviennent de l'alimentation de ces animaux, très richement voire exclusivement basée sur les spongiaires, eux-mêmes structurellement composés de spicules. Il a été démontré que le nudibranche fabriquait ses propres spicules calcaires, celles-ci se révélant à l'étude microscopique de formes généralement différentes des spicules de ses proies.

Informations complémentaires

Cette famille de Doridiens fait l'objet de recherches actuelles en ce qui concerne les espèces européennes, notamment méditerranéennes et il est fort probable que la taxonomie du groupe mais aussi la connaissance biologique de ces espèces soient amenées à évoluer.
De fait, se méfier de certaines publications anciennes ou actuelles se méprenant sur l'identification, l'illustration ou la dénomination de Jorunna tomentosa

Origine des noms

Origine du nom français

Jorunna blanche : Jorunna vient directement du nom de genre de l'animal. Sa couleur de base, généralement blanche, est également indiquée.

Origine du nom scientifique

Jorunna : le nom provient très certainement d'un nom de personnage, Jórunn, présent dans l'une des sagas familiales vikings, réunies sous le grand titre "Sagas of Icelanders". Écrites en islandais au XIIIes., ces sagas évoquent la vie en Islande au Xe siècle.
On rencontre en effet le personnage de Jórunn Bjarnadottir dans « Laxdæla saga » (traduite en français par "Saga des gens du Val-au-Saumon"). Jórunn est l'épouse de Höskuldr Dala-Kollsson, puissant chef viking et elle est présentée comme une belle femme, très fière et non moins intelligente (et probablement habile et expérimentée, bien que parfois têtue).
Rudolph Bergh (1824-1909) est coutumier de l'utilisation de ces personnages féminins nordiques pour composer ses noms de Genres et l'on côtoie également dans d'autres sagas de la même veine Hallgerda ("The Story of Burnt Njal") et Thurida ("The Saga of Víga-Glúms") dont on pourrait penser qu'elles sont la source d'autres noms de genres de Mollusques Opisthobranches* (Halgerda et Thuridilla) formés par R. Bergh.

tomentosa : Le mot latin [tōmentum] désigne ce qui sert à rembourrer (bourre, laine, plumes, poils, joncs…). Il a donné l'adjectif français "tomenteux", notamment utilisé en botanique. Tomentosa s'utilise pour décrire un organisme recouvert de poils courts et doux, de villosités. Il a ici le sens de "velouté", "cotonneux", eu égard à l'aspect hérissé, de l'animal.

Classification

Numéro d'entrée WoRMS : 140166

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Mollusca Mollusques Organismes non segmentés à symétrie bilatérale possédant un pied musculeux, une radula, un manteau sécrétant des formations calcaires (spicules, plaques, coquille) et délimitant une cavité ouverte sur l’extérieur contenant les branchies.
Classe Gastropoda Gastéropodes Mollusques à tête bien distincte, le plus souvent pourvus d’une coquille dorsale d’une seule pièce, torsadée. La tête porte une ou deux paires de tentacules dorsaux et deux yeux situés à la base, ou à l’extrémité des tentacules.
Super ordre Nudipleura Nudipleures
Ordre Nudibranchia Nudibranches Cavité palléale et coquille absentes chez l’adulte. Lobes pédieux souvent absents aussi. Respiration cutanée, à l’aide de branchies, de cérates ou d’autres appendices. Tête portant une ou deux paires de tentacules, les tentacules postérieurs ou rhinophores peuvent parfois être rétractés dans des gaines. Principalement marins ou d’eau saumâtre.
Sous-ordre Doridina Doridiens Corps aplati. Anus dorsal entouré complètement ou partiellement par des branchies de remplacement ramifiées qui peuvent être rétractées (voire absentes). Mangeurs d’éponges, habituellement armés de spicules calcaires internes.
Famille Discodorididae Discodorididés Forme aplatie ovale ou un peu rectangulaire. Pied plus petit que le manteau granuleux. Possibilité d’autotomie du bord du manteau. Présence de glandes à acide. Tentacules buccaux coniques ou digitiformes.
Genre Jorunna
Espèce tomentosa

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