Havrelle merveilleuse

Havrella mirabilis | Breton G., Saulot P., 1986

N° 4444

Atlantique, Manche et mer du Nord, Méditerranée

Clé d'identification

Un feutrage de filaments blanc laiteux sur la surface de la vase noire.

Noms

Autres noms communs français

La petite havraise admirable

Noms communs internationaux

Mermaid hair (GB)

Synonymes du nom scientifique actuel

Beggiatoa mirabilis (Cohn) Breton G., Saulot P., 1986

Distribution géographique

Atlantique, Manche et mer du Nord, Méditerranée

Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises], ○ [Méditerranée française]

Les feutrages blancs ont été observés en divers points des ports du Havre, de Cherbourg, de La Rochelle, de Marseille, de Saint-Nazaire, de Port-Vendres, de Concarneau, de Dunkerque, dans le Grevelingen et la Verse Meer en Zélande (Pays-Bas). Et on peut certainement en rencontrer ailleurs, si les conditions sont réunies.

Biotope

Cette bactérie vit toujours à l'interface entre une vase noire très fortement réductrice, c'est à dire dépourvue en oxygène et chargée en sulfures (hydrogène sulfuré = H2S, gaz malodorant et toxique), et une eau normalement oxygénée, dans des milieux marins et estuariens (milieux paraliques*). Elle est présente dans des eaux dont la température varie de 0 °C à 40 °C, mais certaines Beggiatoales ont été observées dans des eaux de ruissellement à haute température associées à des sources thermales ou des sources hydrothermales du fond des océans. Les observations sur les évents des sources hydrothermales du plancher océanique pourraient correspondre à Havrella mirabilis.

Description

L'havrelle merveilleuse présente l'aspect d'un feutrage de filaments blanc laiteux sur la surface de la vase noire. Les filaments ont généralement une largeur constante sur toute leur longueur, ils sont flexueux et prostrés (très près du substrat).Les extrémités des filaments sont arrondies. Lorsque la densité de population est très forte, l'ensemble peut former un réseau dont les nœuds se soulèvent en petites pointes. Les filaments sont entourés de vase et se déplacent en glissant et en tournant autour de leur axe.

Au microscope, les cellules apparaissent incolores, en forme de disque ou cylindriques de 15 à 55 μm de diamètre. Elles sont disposées en longs filaments (appelés trichomes). Une vacuole* centrale (ce qui est anormal pour une cellule de procaryote) de grande taille sert à l'accumulation de composés azotés et le cytoplasme*, sur les côtés, contient des grains de soufre sphériques. La cellule terminale (apicale) est hémisphérique sur sa face libre.

Espèces ressemblantes

Il existe plusieurs types de tels organismes procaryotes* sulfuro-oxydants :

- Thiovulum majus Hinze, 1913 est une forme unicellulaire, mobile (cellules isolées, grains de soufre périphériques, vacuole centrale), avec le même métabolisme que Beggiatoa mirabilis. Lorsque l'eau est calme, les populations forment au-dessus des sédiments réducteurs un voile extrêmement fragile, assez épais, et qui prend, sous l'influence de micro-mouvements périodiques de l'eau, un aspect strié. Les cellules sont petites, ovoïdes, mobiles et noyées dans une gelée.

- La barbe blanche, Thiothrix nivea (Rabenhorst, 1865) Winogradsky 1888, est très comparable à Beggiatoa mirabilis mais les cellules sont plus longues que larges et les filaments (trichomes) sont fixés par une extrémité, ce qui donne un aspect de barbe blanche. Bien qu'elle soit rattachée par les bactériologistes modernes au groupe des « gliding bacteria » [bactéries qui se déplacent par glissement -comme Beggiatoa mirabilis-], elle n'est pas mobile. Ce sont souvent des Thiothrix nivea (associées à d'autres organismes du cycle du soufre) que l'on observe en Méditerranée à la surface de paquets d'algues en décomposition piégées dans des cuvettes vers 10 m de profondeur.

Il existe d'autres bactéries filamenteuses participant au cycle du soufre. Elles sont de diamètre beaucoup plus modeste et les limites cellulaires ne sont souvent pas visibles.

Deux autres organismes appartenant aux cyanobactéries (anciennes Cyanophycées ou algues bleues) peuvent être observées car elles forment des revêtements sur le fond ou sur d'autres organismes :
- Spirulina subsalsa Oersted ex Gomont, 1892, de couleur lie-de-vin ;
- Spirulina labyrinthiformis Gomont, 1892 de couleur vert bouteille.
Les filaments des spirulines sont enroulés en une spirale très régulière et ont, au microscope, l'aspect de gaines de câbles de frein de vélo.

On peut également observer des eucaryotes* comme des champignons marins filamenteux nombreux mais discrets.

Alimentation

Cet organisme, comme d'autres organismes vivant dans de tels milieux, pratique la chimio-litho-trophie, c'est-à-dire que Havrella mirabilis tire son énergie de l'oxydation des sulfures (l'hydrogène sulfuré : H2S) de la matière organique en soufre. D'où l'accumulation du soufre (comme déchet du métabolisme) dans le cytoplasme. Cette matière organique sert également de source de carbone pour la production de matière organique par Havrella mirabilis.

Pour de tels organismes, on parle de chimio-litho-autotrophie quand ils produisent leur propre matière organique uniquement à partir de substances minérales avec l'énergie des réactions d'oxydation (il y a alors production d'ammoniac pour les souches marines) et de chimio-litho-hétérotrophie lorsqu'ils utilisent de la matière organique (source d'azote) présente dans le milieu pour produire leur propre matière organique (les souches d'eau douce).

En absence d'oxygène (anoxie), ces bactéries peuvent survivre, à court terme, en réduisant le soufre en hydrogène sulfuré.

Reproduction - Multiplication

La croissance du filament se fait par cloisonnement transversal, c'est-à-dire par division cellulaire. Les filaments en se rompant participent certainement à la dispersion par multiplication végétative .

Vie associée

Il ne semble pas qu'il y ait de grosses espèces animales associées à Havrella mirabilis, mais dans ce milieu on peut observer des espèces mobiles comme Anguilla anguilla (Linnaeus, 1758), Carcinus maenas (Linnaeus, 1758), des nématodes, des oligochètes. Certaines de ces espèces s'en nourrissent. Des protozoaires ciliés, et d'autres bactéries parfois sont assez abondantes pour former également un revêtement.

Divers biologie

Havrella mirabilis a appartenu au genre Beggiatoa. Les bactériologistes ne reconnaissent qu’une seule espèce valide dans le genre Beggiatoa : Beggiatoa alba Trevisan ex Hansgirg, 1893, du fait de la variation continue du diamètre des filaments (de 1 µm à 55 µm). Toutefois, l’espèce étudiée en laboratoire (B. alba au sens strict) provient certainement d’un milieu non salé.
Gérard Breton et Patrick Saulot en 1986 ont étudié des populations récoltées en milieu salé (dans des bassins du port du Havre). On considère ici l'espèce morphologique (ou morpho-espèce) Havrella mirabilis que l’on distingue de Beggiatoa alba par :
- des arguments morphologiques : grand diamètre (15-55 µm) des filaments, ainsi que la présence d’une vacuole dans chaque cellule. B. alba ne semble pas posséder de vacuole et les filaments sont plus fins (diamètre inférieur à 10 µm plutôt de l'ordre de 1,5 à 4 µm).
- des arguments écologiques : H. mirabilis est une espèce d’eau saumâtre ou salée (milieux paraliques), alors que B. alba est une espèce d'eau douce. La présence d'une vacuole dans les cellules pourrait être liée à la régulation osmotique (du fait de la présence de sel dans le milieu environnant).
- des arguments « de terrain » : avec ses filaments prostrés, emmêlés (structure du type tampon à récurer), avec les nœuds du réseau soulevés en pointe, B. mirabilis est immédiatement reconnaissable par les plongeurs alors que les bactériologistes ne savent les reconnaître qu'en culture, au laboratoire, dans des boîtes de Petri.
De plus, l’étude à l’origine de la reconnaissance de la seule espèce valide Beggiatoa alba a été faite à partir de données moléculaires et métaboliques car ces bactéries sont difficiles à cultiver. C'est pourquoi nous avons conservé, contre l'avis des bactériologistes, le nom de l'espèce morphologique (ou morpho-espèce) marine Havrella mirabilis.

Cette espèce est observée plutôt en hiver.
A plusieurs occasions, d'une plongée à une autre, on constate la disparition du feutrage. Ce phénomène est lié à un déplacement vertical de ce dernier plutôt qu'à une mort massive. Le feutrage n'est donc visible que lorsque les conditions physico-chimiques favorables atteignent la surface du sédiment. Les filaments sont mobiles par glissement; toutefois aucun organe de motilité (capacité à effectuer des mouvements) n'est connu. Le glissement est relativement rapide (1-8 µm.s-1) et s'accompagne souvent d'une flexion des filaments.
Si la vase est beige – oxydée – Havrella mirabilis n'est plus présente en surface. En fait, le tapis de Havrella est à la limite entre la zone oxygénée (ou zone oxydée) et la zone dépourvue d'oxygène riche en sulfures (ou zone réductrice). C'est ce que l'on appelle le front redox. Si ce front s'enfonce dans le sédiment, les Havrella le suivent (chaque filament est mobile) et ne sont plus visibles à la surface. Pour qu'elles le soient de nouveau, il faut que le front redox atteigne la surface. Ces déplacements verticaux du front redox, donc des tapis de Havrella, semblent se faire sous l'influence de nombreux paramètres comme des variations climatiques, par exemple de pression atmosphérique, mais aussi de tout phénomène qui peut réoxygéner le sédiment (agitation de l'eau).
La couleur blanche de Havrella mirabilis et des autres bactéries sulfuro-oxydantes est due à l'accumulation des granules de soufre dans le cytoplasme des cellules. Le soufre provient de certains acides aminés (comme la cystéine) qui sont les constituants des protéines formant la matière organique. Ces inclusions de soufre sont déposées quand les cellules croissent en présence d'hydrogène sulfuré.

Informations complémentaires

Les Beggiatoa ont longtemps été considérées comme des cyanobactéries incolores du fait des similitudes de leur morphologie avec le genre Oscillatoria.
Beggiatoa alba a d'abord été décrite en tant qu'algue par Vaucher en 1803 (Oscillatoria alba), puis placée dans les algues bleues (Cyanobactéries ou Cyanophycées). Des études récentes de l'information génétique (A.D.N. et A.R.N.r) ont conduit à classer ces organismes parmi les bactéries et à les éloigner des cyanobactéries.
Une seule espèce est retenue actuellement, quel que soit le diamètre des filaments, que l'on soit en eau douce, saumâtre, salée ou sursalée : Beggiatoa alba. Toutefois l'espèce morphologique (ou morpho-espèce) Havrella mirabilis est décrite ici car c'est elle qui est rencontrée par les plongeurs. H. mirabilis faisait partie des six espèces reconnues auparavant sur la base du diamètre des filaments, de la morphologie générale et de l'habitat.
Les sites Algaebase et Worms considèrent que le taxon valable est Havrella mirabilis et non pas Beggiatoa mirabilis.

Il ne serait pas surprenant qu'ultérieurement plusieurs espèces soient distinguées mais plus de données phylogénétiques sur des filaments de différentes tailles seront nécessaires pour différencier des espèces parmi les Beggiatoa marines.

Les bactéries sulfuro-oxydantes se trouvent partout où il y a des sulfures à oxyder, dans des sources thermales sulfureuses, dans des fleurs d'eau à la surface de bassins putrides, etc. Aujourd'hui, on connaît plusieurs espèces de Beggiatoales dans les fumeurs noirs des zones actives du fond des océans.
Beggiatoa et d'autres bactéries filamenteuses apparentées peuvent causer des problèmes dans les stations d'épuration des eaux usées, dans les lagunes de déchets industriels de conserverie, de pâte à papier, partout où il peut y avoir une accumulation de matière organique et de la vase noire. Beggiatoa est également capable de détoxifier l'hydrogène sulfuré dans le sol.
Chaque filament sécrète de grandes quantités d'une substance visqueuse (des polysaccharides).

Origine des noms

Origine du nom français

Traduction du nom de genre donné par Breton et Saulot en 1986, en référence à la ville et au port du Havre et allusion au mode de vie remarquable de cet organisme pour le nom d'espèce donné par Cohn en 1865.

Origine du nom scientifique

Beggiatoa : Genre dédié à Francesco Secondo Beggiato (1806-1883), médecin et botaniste (mais également géologue et paléontologue) italien de Vicence (nord de l'Italie).
mirabilis : du latin [mirabilis] = admirable, merveilleux, étonnante, remarquable, singulier.
et
alba : du latin [alba]= blanc.
Havrella : genre dédié à la ville et au port du Havre (Seine-Maritime, France).

Pour ce groupe des bactéries aquatiques sulfuro-oxydantes, groupe généralement peu renseigné sur les sites de biologie sous-marine, voici l'origine des noms scientifiques pour les principales autres espèces mentionnées sur cette fiche.

Thiothrix : thio, du grec [theion] = le soufre, et thrix du grec [trichos] = cheveu, poil, filament donc cheveu de soufre, allusion à la forme des cellules et à leur métabolisme.
nivea : du latin [niveus], de neige, allusion à la couleur des filaments donnée par les grains de soufre contenus dans les cellules.

Thiovulum : thio, du grec [theion] = le soufre, et du latin [ovum] = œuf, les cellules ont une forme ovoïde: petits œufs de soufre.
majus : du latin [majus] = grand, le plus grand.

Spirulina : diminutif du grec puis du latin [spirula] = tore, spire, allusion à la forme des cellules ou, du latin [spira] = spirale, spire et du latin [linea] = fil, ligne, trait: filament enroulé en spirale.
subsalsa : du latin [salsa] = salé et du préfixe latin [sub] dans le sens de presque, donc presque salé. Probablement parce que cette espèce vit plutôt dans les milieux saumâtres.

Classification

Numéro d'entrée WoRMS : 232105

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Proteobacteria Protéobactéries
Classe Gammaproteobacteria Gammaprotéobactéries
Ordre Thiotricha Thiothricales

Bactéries intervenant dans le cycle du soufre.

Famille Thiotrichaceae Thiothriches
Genre Havrella
Espèce mirabilis

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