Grand chétoptère

Chaetopterus variopedatus | (Renier, 1804)

N° 1124

Atlantique Nord Est, Méditerranée

Clé d'identification

Tube parcheminé de section cylindrique, opaque et en forme de U
Partie centrale du tube enfouie et deux extrémités libres dressées sur 10 cm environ
Corps caché dans le tube, mou et très fragile
Corps épais de grande taille à 3 régions très différenciées
Corps de coloration verdâtre ou blanc jaunâtre
2 courts palpes filiformes

Noms

Autres noms communs français

Chétoptère, chétoptère de Valenciennes

Noms communs internationaux

Parchment worm (GB), Perkamentworm, perkamentkokerworm (NL), Pergamentwurm (D)

Synonymes du nom scientifique actuel

Tricoelia variopedata Renier, 1804
Chaetopterus norvegicus M. Sars, 1835
Chaetopterus sarsi Boeck in Sars 1860
Chaetopterus sarsii Boeck in Sars, 1860
Chaetopterus insignis Baird, 1864
Chaetopterus leuckarti Quatrefages, 1866
Chaetopterus quatrefagesii Jourdain, 1868
Chaetopterus brevis Lespès, 1872
Chaetopterus variopedatus [auctt.]

Distribution géographique

Atlantique Nord Est, Méditerranée

Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Méditerranée française], ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises]

Le grand chétoptère vit dans les habitats côtiers peu profonds (Atlantique, Méditerranée).

Biotope

Les tubes de Chaetopterus variopedatus sont présents dans les fonds, de sable ou de vase, peu profonds (jusqu’à 40 m), plus rarement en bas de la zone de balancement des marées. La majeure partie du tube en forme de U est enfouie jusqu'à 15 cm de profondeur dans les sédiments.
Chaetopterus variopedatus supporte des variations de salinité puisqu’il peut être observé dans des estuaires.
En profondeur il peut vivre en milieu rocheux dans les crevasses et sous les rochers. Il affectionne aussi les poches d'huîtres abandonnées.

Description

Chaetopterus variopedatus vit dans un tube en forme de U dont les deux extrémités ont des ouvertures légèrement rétrécies. Les rétrécissements sont nettement plus marqués sur les tubes desséchés retrouvés en laisse de mer, ce qui explique sans doute les descriptions "anciennes" peu conformes à l'aspect in situ du tube des individus vivants. Ces extrémités dépassent d’une dizaine de centimètres du sédiment. Le tube membraneux, résistant, souple, est formé d’épais feuillets superposés, blanchâtres, opaques, parcheminés. Bien que les descriptions parlent de tube non annelé, il y a bien des anneaux irréguliers visibles, sans doute dus aux différentes phases de croissance du tube à ses extrémités. Les anneaux plus ou moins en biais correspondraient aux sutures des rajouts successifs de plaques parcheminées. Les tubes mesurent 15 à 25 cm de long pour 1,5 à 2,5 cm de diamètre (jusqu’à 85 cm pour 4 cm de diamètre).

Le corps épais, de grande taille (jusqu’à 25 cm de long) de cet annélide polychète est mou et fragile. Il reste caché dans le tube sans en sortir et ne s'approche pas des ouvertures, les tubes observés en plongée semblent donc toujours "vides". Il présente une coloration jaune verdâtre ou blanc jaunâtre. Trois parties sont nettement distinctes :

  • La partie antérieure, aplatie, avec deux palpes* filiformes courts, est constituée de onze segments, dont neuf seulement sont sétigères (qui portent des soies*), et le tout forme une structure massive avec une bouche terminale en entonnoir.
  • La partie médiane montre de loin la plus grande diversité de structure et se compose de 12 à 16 segments (ou anneaux). Le segment 12 porte une paire d’appendices en forme d’aile (les notopodes aliformes*, un notopode est la rame dorsale d'un parapode*). Ces appendices sécrètent du mucus. La partie ventrale de ce segment forme un disque fortement adhésif (comme pour le segment suivant). Le segment 13 est très allongé, la partie dorsale est modifiée pour former une cupule et la partie ventrale contient la partie la plus dilatée de l'intestin de couleur noir verdâtre. Les parapodes* sur les segments 14, 15 et 16 sont fusionnés dorsalement en trois structures en forme d’éventail et les parties ventrales de chaque segment forment un disque adhésif moins puissant que ceux des segments 12 et 13.
  • La région postérieure compte un nombre variable (jusqu’à une cinquantaine voire plus) de segments, selon l'âge du ver, et contient les éléments sexuels, mâles ou femelles. Les segments de cette région sont tous semblables mais leur taille diminue progressivement jusqu'au pygidium*.

Espèces ressemblantes

En plongée, les tubes souples d’autres grands vers polychètes peuvent évoquer ceux de Chaetopterus variopedatus. Le tube de Sabella spallanzanii est souvent bien plus long, celui de Sabella pavonina de taille similaire, mais dans les deux cas le tube est unique et le panache peut être très largement visible.
Parmi les tubes rigides de taille similaire, ceux blanchâtres des protules peuvent éventuellement évoquer ceux du grand chétoptère.

Il existe plusieurs genres et espèces dans la famille des Chaetoptéridés.

A l'exception de Chaetopterus, tous les membres de la famille construisent un tube plus ou moins droit orienté verticalement dans le substrat*. Ce tube contient une ou plusieurs cloisons perforées transversales. De plus les genres autres que Chaetopterus possèdent une paire de longs tentacules*.
Les genres Phyllochaetopterus et Spiochaetopterus comprennent des espèces de petite taille (quelques centimètres de longueur) et beaucoup plus minces qui habitent des tubes cornés, cylindriques, annelés, plus ou moins transparents. L’espèce Mesochaetopterus sagittarius (Claparède, 1870), elle, habite un tube parcheminé mais mesure 2-3 cm de long pour 1 mm de large.
L'espèce Mesochaetopterus rogeri est bien différente par ces deux longs tentacules.
L’espèce Chaetopterus pergamentaceus Cuvier, 1810, présente aux Caraïbes, pourrait être identique à C. variopedatus.

Alimentation

Les notopodes (rames dorsales des parapodes*) en forme d’aile du segment 12 se placent de façon à constituer un anneau. Ils sécrètent du mucus qui forme un filet. Le battement rythmique des éventails des segments 14,15 et 16 génère un courant d’eau qui entre par l’orifice du tube du côté de l’avant de l’animal et qui sort par l’autre extrémité. Les particules alimentaires sont retenues par le filet muqueux et l’extrémité de ce dernier est enroulée de façon continue pour former une balle dans la cupule dorsale. Lorsque cette balle atteint une certaine taille, le filet est détaché et incorporé dans la balle. Celle-ci est alors conduite vers la bouche par des mouvements ciliaires. Si un objet susceptible d’encombrer le dispositif se présente, les notopodes aliformes se rétractent pour permettre à l'objet de contourner le filet. Un spécimen de chétoptère de 18 à 24 cm de long peut produire un filet muqueux à la vitesse d'environ 1 mm/s, avec des boulettes de nourriture d'un diamètre moyen de 3 mm.

Dans les pelotes fécales sont retrouvés des tests de diatomées, de foraminifères, des coquilles de larves* de mollusques, des carapaces de copépodes et celles de nombreux jeunes crustacés planctoniques*, ainsi que des œufs du grand chétoptère, sans compter ce qui a été complètement digéré.
Donc Chaetopterus variopedatus se nourrit de plancton et de matières organiques en suspension.

Reproduction - Multiplication

Les sexes sont séparés. La partie postérieure des mâles matures est blanchâtre alors que celle des femelles est orange. Les femelles ovigères* portent de 150 000 à plus d'un million d'œufs à la fois. Le frai a lieu pendant la période chaude. Les gamètes* sont libérés et la fécondation a lieu en pleine eau. Les chétoptères présentent un développement original car les segments de la partie médiane se développent plus vite que les autres parties du corps (on parle d'hétérochronie).

Bien qu'il soit étroitement adapté à un mode de vie particulier, à l'intérieur de son tube parcheminé qu'il n'abandonne jamais, le grand chétoptère est capable, très facilement, d’autotomie* lorsqu'on veut le saisir par la partie antérieure ou lorsqu'on l'irrite assez fortement. La rupture se fait toujours entre le premier et le second segment de la région moyenne.

Chaetopterus est l'un des rares genres de polychètes avec des régions spécialisées distinctes qui peuvent régénérer un corps entier à partir d'un seul segment. Cette capacité est plus fréquente chez les vers ayant des corps indifférenciés.

Cet animal s’autotomisant très facilement, les individus régénérés sont fréquents et présentent souvent des anomalies qui les ont fait considérer comme des espèces distinctes. Le nombre des segments antérieurs est très variable. Le nombre et la taille des segments de la région postérieure sont aussi très variables.

Vie associée

C. variopedatus est considéré comme une espèce écologiquement importante pour deux raisons.

  • Tout d'abord, le ver métabolise les nutriments en transformant les détritus en matières organiques benthiques* par filtration et défécation.
  • Et il a été démontré que la présence de tubes de vers dans les sédiments augmente la biodiversité benthique, vraisemblablement parce que plusieurs organismes épibiontes* vivent sur et autour les ouvertures des tubes.

Harmothoe setosissima (Lamarck, 1818), Gattyana cirrhosa (Pallas, 1766), Polynoe scolopendrina Savigny, 1822 et Malmgrenia lunulata (Delle Chiaje, 1830) sont des annélides polychètes qui peuvent être observés dans les tubes du grand chétoptère, ainsi qu’un petit bryozoaire Hypophorella expansa Ehlers, 1876, ainsi que des nématodes et des protozoaires.
Sur la côte ouest de l’Atlantique on peut trouver les crustacés Pinnixa chaetopterana Stimpson, 1860, Polyonyx gibbesi Haig, 1956 par exemple.

Un gobie, Crystallogobius linearis (Düben, 1845) dépose ses œufs dans des tubes de vers polychètes vides, souvent dans ceux de Chaetopterus, à 20-40 m de profondeur. Les œufs sont gardés par les mâles, qui souvent se cachent eux aussi dans le tube.

Comme de nombreux individus montrent des signes de régénération (petit nombre de segments, …), il est probable que cette espèce soit la proie de grands poissons et de crustacés se nourrissant sur le fond. Du fait qu’elle vive dans son tube, elle est peu accessible mais son extrémité antérieure peut dépasser et elle est de couleur claire. Il existe peu d'informations sur les prédateurs du grand chétoptère.

Divers biologie

Cette espèce correspond certainement a un grand nombre d'espèces très proches (un complexe d'espèces) ce qui explique le fait que certains proposent qu'elle soit cosmopolite. Ce complexe d'espèces mériterait une révision.

La forme du corps et des parapodes sont très modifiés par rapport au schéma classique des polychètes. Cela est en liaison avec ce comportement alimentaire unique.

L'analyse récente de la phylogénie moléculaire montre que Chaetopterus variopedatus est certainement un complexe d'espèces.

Le courant d'eau sert les fonctions importantes de la respiration, de l'évacuation des déchets, du nettoyage du tube et de l'alimentation.

Le tube est sécrété par la surface ventrale de la région antérieure du corps. Les soies notopodiales du 4ème segment, très élargies, sont utilisées pour déchirer la paroi du tube afin d'agrandir le tube au fur et à mesure de la croissance, puis l'animal sécrète pour en augmenter à la fois la longueur et la largeur.
La durée de vie de C. variopedatus varie avec les conditions environnementales et d'autres facteurs, mais la plupart des spécimens étudiés vivent pendant une période d'environ un an ou moins.

Paradoxalement, Chaetopterus est fortement bioluminescent bien qu'il occupe en permanence un tube opaque. La bioluminescence* est produite par des bactéries et libérée dans le mucus du ver. Les observations de la bioluminescence, bleue ou violacée, émanant des extrémités du tube submergé suggèrent que le ver peut décharger son mucus lumineux pour surprendre les prédateurs en train de grignoter ses extrémités. Le ver semble réagir de manière similaire à l'invasion de son tube par des matériaux étrangers et attaques extérieures sur le tube. La réaction implique une retraite défensive du ver à une extrémité du tube et l'expulsion d'un nuage lumineux de mucus luminescent à l'extrémité opposée. La dispersion de ce nuage dans l'eau perturberait alors l'attaquant potentiel quant à l'emplacement exact de ses proies. La signification adaptative de la bioluminescence reste incertaine bien que plusieurs fonctions soient suggérées comme la dissuasion des prédateurs, l'attraction d'un prédateur de l'attaquant et l'action d'un leurre.


Après de fortes tempêtes de nombreux tubes parcheminés vides ou avec le ver peuvent être échoués sur les plages.

Informations complémentaires

Cette espèce, malgré les doutes concernant son unicité, est très étudiée car elle constitue un important modèle pour les premiers stades du développement embryonnaire. Cela est dû au fait que la fécondation et l'élevage des premiers stades sont faciles au laboratoire.

La vitesse d’écoulement de l’eau dans le tube doit être assez élevée pour permettre une filtration efficace sur un filtre de petite taille. Elle serait 2 fois plus élevée que chez les bivalves et 5 fois plus que chez les ascidies. Cela semble lié à la surface des filtres chez ces différents organismes, très petite chez le grand chétoptère et beaucoup plus importante chez les bivalves et les ascidies simples.

Le film de mucus se compose de deux réseaux croisés de filaments parallèles pouvant retenir les particules d'un diamètre d'environ 0,5 µm et laisser passer les particules plus petites.

En 2006, une lectine spécifique au β-galactose appelée CVL a été isolée à partir des tissus du grand chétoptère. Elle présente une activité anti-VIH-1. Sa cible se situe au début de la réplication du virus et du blocage de l’entrée du virus dans les cellules hôtes. Cette substance aura-t-elle un développement dans le traitement du SIDA ?

Les propriétés visco-élastiques de la matière du tube ont fait l’objet d’études. Celles-ci ont montré des caractéristiques remarquablement stables dans des gammes de température importantes comparables à celles de la soie du ver à soie et à celles de la soie d’araignée.

Origine des noms

Origine du nom français

Il s'agit du plus grand chétoptère.

Origine du nom scientifique

Chaetopterus : du grec [chaete] = soie* et du grec [pter-] = aile, ce sont les notopodes en forme d'ailes portant des soies qui sont à l'origine du nom de genre créé par Cuvier en 1830.
variopedatus : du latin [vari-] = varié et du latin [pedat-] = pied, donc à pieds de forme variée pour les notopodes aliformes* du segment 12 et les éventails des segments 14, 15 et 16.
pergamentaceus: (pour l'espèce présumée synonyme des Caraïbes) du latin [pergamena] = parchemin avec le suffixe [-eus] = qui a un rapport avec la matière, donc de parchemin. La racine latine vient du grec [pergamen] = ville de Pergame (Bergama, aujourd'hui, en Turquie). C'est dans cette ville que le parchemin fut inventé.

Classification

Numéro d'entrée WoRMS : 129914

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Annelida Annélides

Vers segmentés (annelés) à section cylindrique, à symétrie bilatérale constitués de segments semblables. Le premier segment porte la bouche et le dernier l’anus. Nombreuses formes marines, dulcicoles ou terrestres, libres ou parasites.

Classe Polychaeta Polychètes

Annélides marines. Chaque segment porte des excroissances locomotrices (les parapodes) plus ou moins développées, munies de touffes de soies chitineuses rigides. Chez la plupart des espèces, la tête porte plusieurs organes sensoriels, des mâchoires, et souvent un panache branchial coloré. Animaux libres dans la colonne d'eau ou sur les sédiments mais aussi galéricoles ou tubicoles.

Sous-classe Sedentaria Annélides polychètes sédentaires
Famille Chaetopteridae Chaetoptéridés

Espèces sédentaires vivant dans un tube parcheminé ou corné partiellement à totalement enfoui dans le substrat. Pas de véritables branchies, deux longs palpes, corps divisé en 3 régions très distinctes dont une médiane de cinq paires de parapodes très élargis.

Genre Chaetopterus
Espèce variopedatus

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