Troque de Jussieu

Clanculus jussieui | (Payraudeau, 1826)

N° 5918

Méditerranée, Atlantique Est

Clé d'identification

Coquille petite mais solide, arrondie avec 6 tours de spire
Surface lisse (aspect brillant) ou à cordons lisses ou striés transversalement (aspect strié)
Ombilic large, ouvert, assez profond et toujours blanc
Ouverture légèrement ovale, labre plissé du côté interne
Columelle légèrement arquée, détachée, à denticulation simple
Couleur très diverse mais généralement d’un brun foncé
Motifs variés irréguliers de taches ou de points clairs

Noms

Autres noms communs français

Gibbule brune, monodonte de Jussieu

Noms communs internationaux

Jussieu’s top shell, Jussieu’s clanculus (GB), Buckelschnecke (D), Slakkensoort, Tolhoren (NL), Jussieův kotouč (Tchéquie), Jussieuov zvrk (Croatie)

Synonymes du nom scientifique actuel

Monodonta jussieui Payraudeau, 1826
Clanculopsis jussieui (Payraudeau, 1826)
Clanculus (Clanculella) jussieui (Payraudeau, 1826)
Clanculus (Clanculopsis) jussieui (Payraudeau, 1826)
Gibbula schroeterius Risso, 1826
Clanculus blainvillii
Cantraine, 1842
Clanculus jussieui var. roseo-carnea Monterosato, 1880
Clanculus jussieui var. striata Monterosato, 1880
Clanculopsis granolirata Monterosato, 1889
Clanculus jussieui var. marmorata Pallary, 1900

Distribution géographique

Méditerranée, Atlantique Est

Zones DORIS : ○ [Méditerranée française]

La présence des troques de Jussieu est signalée dans toutes les régions de la Méditerranée (mer Égée, côtes syriennes et libanaises, côtes tunisiennes, algériennes, italiennes, françaises, espagnoles…) ainsi que dans l’Adriatique. En revanche, leur présence dans le détroit des Dardanelles, dans la mer de Marmara et en mer Noire est exclue par certains auteurs, elle reste donc à confirmer pour ces régions. En dehors de la Méditerranée, l’espèce est répertoriée dans l’Atlantique Est de la côte sud du Portugal jusqu’à la Mauritanie.

Biotope

Les troques de Jussieu sont présentes le long des côtes rocheuses, indépendamment de la formation géologique constituant les fonds (calcaires, schistes, grès…). Elles vivent dans les zones littorales, infralittorales* et herbacées, depuis 1 m de profondeur jusqu’à 30 m, mais elles ont été observées exceptionnellement jusqu’à 40 m. Les différentes sources bibliographiques associent cette espèce à des régions riches en flore marine, comme des herbiers de posidonies où, selon certains, elle semble apprécier les rhizomes*.
On peut les observer également dans les herbiers de zostères (rhizomes et feuilles), parmi les algues brunes cystoseires, ainsi que sur les fonds coralligènes* en présence d’éponges ou d’algues calcaires.

Dans la littérature italienne, contrairement aux autres espèces de troques vivant dans la Méditerranée comme la troque perlée (C. cruciatus) ou la troque-corail (C. corallinus), la présence des troques de Jussieu en l’absence de lumière, notamment dans les grottes sous-marines, n’est constatée que très rarement, voire considérée comme exceptionnelle.

Description

Comme chez tous les gastéropodes à coquille spiralée et non recouverte par le manteau*, c’est la coquille de la troque qui est la partie la plus marquante de l’animal. La coquille de Clanculus jussieui est petite et arrondie. Elle est solide, dotée d’une paroi assez épaisse.

La hauteur de la coquille des individus adultes mesure 8 à 12 mm. Sa largeur est légèrement plus importante que sa hauteur, 9 à 14 mm, pouvant exceptionnellement atteindre 15 mm. Nous ajoutons que certains auteurs mentionnent les observations des coquilles plus petites, de l’ordre de 5 à 8 mm, sans confirmer qu’il s’agisse des individus adultes ou pas ou peut-être des variétés de l’espèce.

La coquille est constituée de 6 tours de spire* qui s’élargissent régulièrement de l’apex* vers la base. La spire est courte. Les tours sont convexes et sont séparés par des simples sutures* fines, mais bien visibles. Le sommet est mamelonné, blanc crème, parfois imprégné de rose pâle. Le premier tour en partant de l’apex ou tour embryonnaire* est toujours lisse. Les tours suivants peuvent être lisses, voire parfois donner le sentiment d’avoir été polis jusqu’à l’aspect brillant, mais dans d’autres cas ils peuvent être ornés de cordons réguliers, relativement fins, donnant ainsi un aspect strié à la coquille. Le premier cordon sous-sutural* peut être légèrement plus épais que les autres, avec sa largeur maximale limitée à 0,8 mm. Les cordons peuvent être lisses en surface ou striés transversalement par des lignes parallèles fines et légèrement incurvées. Ce marquage transversal est également visible dans les interstices entre cordons dont la largeur est quasiment égale à la largeur de ces derniers. Le dernier tour est arrondi, convexe à la base. Il compte 15 à 17 cordons, si ces derniers sont visibles.

L’ouverture de la coquille est légèrement ovale. Le labre* est plissé du côté interne, présentant de fins plis réguliers. L’ombilic* de la coquille est moyennement large, ouvert, assez profond. Il est presque lisse au pourtour, ne présentant qu’une petite rugosité faisant penser à des petits dépôts de calcaire. La columelle* de la coquille est légèrement arquée et détachée. Elle est équipée d’une petite dent pointue à la base et elle est tordue au sommet. Cette déformation forme une deuxième dent à son extrémité, aussi petite que la première. Le tronçon entre ces deux dents est lisse, de forme presque droite, mais parfois légèrement courbée (concave). Un opercule* fin, circulaire permet à l’animal de fermer sa coquille lorsqu’il se rétracte à l’intérieur pour se cacher et se protéger. L’opercule est corné, multispiré* et constitué d’un noyau central et de 8 à 10 tours. L’opercule est attaché à l'arrière du pied* du mollusque, mais comme le pied est court, il est assez difficile de l’observer sur l’animal en déplacement.

La coloration typique de la coquille des troques de Jussieu est d’un brun noirâtre ou brun chocolat mais elle peut se décliner dans toutes les nuances de brun. La coquille peut présenter une coloration uniforme ou, plus souvent, être veinée en zig-zag de petites lignes claires et obliques. Ces taches plus claires, si elles sont présentes, peuvent être rayonnantes du sommet, régulières ou irrégulières et souvent interrompues, donnant à la coquille un aspect strié avec cordons articulés de brun foncé et de clair. Parfois, sous forme d’un damier fin, elles peuvent couvrir l’ensemble de la coquille. Cependant, il est important de noter que cette espèce présente une grande diversité génétique. La coloration de la coquille peut également être d’un brun olivâtre, d’un brun violet, mais aussi d'un brun clair. Les taches claires ou des lignes peuvent être blanches ou jaunâtres, ocre, voire rose clair ou violacées. Il existe également des coquilles roses ou rougeâtres uniformes ou avec des taches plus pâles et même des exemplaires partiellement blancs qui ont été signalés en Sardaigne.

Vue de dessous, les cordons concentriques voisins de l’ombilic sont tesselés* de brun et de blanc, mais ils peuvent exceptionnellement rester sans taches plus claires, en particulier chez les exemplaires les plus foncés (brun noirâtre). En revanche, la columelle et la cavité ombilicale sont toujours blanches. La face intérieure de l’ouverture est nacrée.

Le corps de la troque de Jussieu est très peu visible, dépassant à peine la largeur de la coquille. Les premières descriptions de l’espèce publiées dans les documents du 19e siècle mentionnent une couleur uniforme gris foncé ou noirâtre de l’animal. Néanmoins, une observation attentive permet de découvrir que le corps de l’animal est en réalité de couleur jaune clair ou crème. Il est recouvert de motifs composés de grandes taches irrégulières gris sombres, denses, faisant à peine apparaître le fond pâle à leur interface. La couleur dominante du corps visible est donc une couleur gris anthracite, parfois plutôt brunâtre, avec uniquement le bord périphérique du pied plus pâle, faisant penser à un ourlet fin, un peu usé par la reptation de l’animal sur le fond rocheux. La tête porte deux longs tentacules* sensoriels gris sombre (tentacules céphaliques*), finement ciliés, ayant chacun un petit œil noir à sa base, perché sur un petit pédoncule* court. Les lobes* cervicaux placés de chaque côté de la tête sont presque similaires. Ils sont irréguliers, finement crénelés au bord et celui de droite présente un découpage moins fin. De plus, l’animal possède quatre paires de tentacules épipodiaux* gris, plus fins et plus courts que les deux tentacules sur la tête. Ils sont situés de chaque côté du pied. Les appendices intertentaculaires (organes sensoriels) se présentent sous forme simple d’un petit gland arrondi de couleur crème, situé à la base de chaque tentacule épipodial.

Placée en partie inférieure de la tête, la bouche de la troque est de forme circulaire. La radula* (langue râpeuse) des espèces méditerranéennes de troques a des caractéristiques similaires à celles des autres espèces de la sous-famille Trochinae. Elle possède une dent centrale en forme de losange dite rhomboïde large à la base ainsi que des dents latérales rudimentaires et des dents marginales disposées en rangées très obliques.

L’espèce Clanculus jussieui est réputée pour compter de nombreuses variétés de couleur ou de forme dont certaines sont parfois considérées comme des espèces ou des sous-espèces à part. Il y a tellement de motifs et de combinaisons de couleur possibles que, selon certains auteurs, toute tentative de clarification basée sur la couleur paraît inutile.

Toutefois, nous listons ci-dessous les variétés de couleurs qui ont été définies dans le passé et sont aujourd’hui souvent mentionnées dans la littérature :

- Var. marmorata qui présente des marbrures brun verdâtre sur fond clair. La présence de cette forme est notée dans la région de Beni Saf en Algérie par Pallary en 1900.

- Var. roseo-carnea qui est d’un rose rougeâtre ou violacé uniforme. Selon certaines sources, cette variété présente une surface lisse ou très finement striée en s’approchant de la var. striata (voir plus bas). Elle n’a été rencontrée que dans une région limitée, à savoir dans les éponges du golfe de Gabès en Tunisie. Elle est généralement associée à la sous-espèce debilis, décrite plus loin.

- Var. granolirata, décrite par certains auteurs, qui est régulièrement ornée de petits cordons articulés de blanc et de brun ou noir, donnant un aspect tesselé*. Il est à noter que cette variété correspond à la description de l’espèce sous le nom de Clanculopsis granolirata, présenté par Monterosato en 1889. Elle est signalée dans la région de Casablanca au Maroc. Nous constatons que l’articulation fine de blanc et de noir s’approche de la description de la var. Blanvillei, présentée par Cantraine, 1841. Il est donc fortement probable qu’il s’agisse d’un synonyme. Nous notons également que Monterosato compare son C. granolirata à Monodonta glomus décrit par Philippi, 1844. Dans WoRMS on trouve les deux en synonymie de C. jussieui. Cependant, Gofas, 2017 propose que les exemplaires de C. granolirata provenant du sud de l’Espagne et caractérisés par de cordons plus épais soient considérés comme une espèce à part. A ce jour, cette proposition ne semble pas être validée.

- Var. zebrina (Requien, 1848) identifiée en Corse, à décor formé de bandes brun foncé disposées en zig-zag alternant avec des bandes blanches. Pallary signale la présence de cette variété à Beyrouth en 1912.

La littérature disponible mentionne encore d’autres variétés de couleur comme var. olivacea-laevis (verte), nigrescens (noirâtre), rufescens (roux), rubra (rouge), rosea ou minor-atra (noir mat). In est à noter que les différentes variétés peuvent se rencontrer ensemble dans la même région. Par exemple Requien, 1848 indique dans son ouvrage « Catalogue des coquilles de l'île de Corse » la présence de six variétés différentes de cette espèce.

Quant aux variétés morphologiques de la troque de Jussieu, sont distinguées :

- Var. striata ou striatus, suivant source, décrite initialement par Monterosato en 1880 comme étant d’aspect lisse, mais dont toute la coquille est recouverte par des stries très fines et serrées, visibles seulement à la loupe. La coloration de cette variété est indiquée comme noire, uniforme, mais exceptionnellement aussi rose rougeâtre (cf. var. roseo-carea) qui serait de plus petite taille.

- Var. glomus décrite initialement par Philippi en 1844 dans le Vol. 2 de son œuvre « Enumeratio molluscorum Siciliae » comme une espèce différente, mais intermédiaire entre C. cruciatus et C. jussieui. Nous précisons que cette espèce n’est pas mentionnée dans le document initial (Vol.1) où seule la troque de Jussieu est mentionnée. Cette variété possède des cordons décurrents lisses, non granuleux, dont les intervalles sont finement striés. La coquille est généralement plus grande et robuste. En 1900, Pallary signale la présence de cette forme dans le port d’Oran (Algérie), d’autres sources l’indiquent près de la côte rocheuse des Pyrénées Orientales (Cerbère, Collioure). Les var. cingulata de Réquien, 1848 et var. sulcata de Monterosato sont considérées comme des synonymes.

Enfin, nous nous permettons une petite parenthèse sur l’existence de certaines variétés spécifiques, dont la présence est limitée à la région de Gabès (Tunisie). C’est le cas de la troque de Jussieu, mais également de plusieurs autres espèces de Trochidae méditerranéennes.

Le golfe de Gabès fait partie des régions de la Méditerranée où la morphologie est particulière. Sous forme d’une mer semi-enfermée, il est situé déjà dans la partie Sud et en même temps à la jonction entre les deux bassins oriental et occidental. Grâce à la courbure et la morphologie spécifique des côtes tunisiennes, le golfe est peu soumis à l’influence de l’Atlantique. Simultanément, il se distingue des autres régions de la Méditerranée par une amplitude des marées plus importante, à savoir selon les périodes jusqu’à 2 m. D’autres caractéristiques particulières lui sont attribuées dans la littérature. Il nous paraît intéressant de noter que les différents travaux scientifiques sur la malacologie du golfe de Gabès mettent en évidence une très grande richesse des espèces de mollusques et en particulier des gastéropodes dont le nombre d’espèces est ici nettement plus élevé que le nombre des espèces de bivalves. C’est une des régions les plus riches en faune malacologique de la Méditerranée et il semble présenter l’un des taux d’endémisme* et de variétés locales le plus élevé, ce qui a été ressenti par les biologistes marins dès la fin du 19ème siècle.

En lien avec C. jussieui, Monterossato, en 1884, avait décrit des spécimens plus petits, sans cordons et uniquement avec de très fines stries, typiques du golfe de Gabès. Il définit alors une variété locale nommée var. minor-laevigata faisant référence à la petite taille et à l’aspect poli des coquilles retrouvées dans la région. Le mot laevigata vient du verbe latin [laevigare] qui signifie « polir ». Deux décennies plus tard, Pallary élève cette variété au rang de sous-espèce, en changeant le nom à C. jussieui debilis. Il s’agit en fait d’une forme spécifique, géographiquement limitée au sud du bassin oriental de la Méditerranée et qui se distingue de la forme typique non seulement par l’absence des motifs, mais aussi par l’ouverture plus délicate et la denticulation typique plus effacée.

Non citée par WoRMS, la sous-espèce C. jussieui debilis est décrite dans la littérature comme une forme de plus petite taille de 6 à 9 mm au maximum, avec une coquille subglobuleuse ou globuleuse, peu épaisse, la forme de la spire est moins arrondie, s’approchant plus de celle d’un cône (spire conoïde). Elle ne présente que 4 à 5 tours convexes ornés de stries décurrentes très fines recoupées par d’autres plus fines, longitudinales, obliques. L’ombilic est largement ouvert, fortement crénelé sur le bord et entouré de trois forts sillons concentriques. Pallary considère que la couleur brune presque noire est la couleur typique, mais il distingue 2 variétés de cette sous-espèce, à savoir la var. rosea et var. alba, signalées toutes les deux dans la région de Djerba (Tunisie). Nous tenons à dire que dans la littérature plus récente, la sous-espèce C. jussieui debilis est généralement associée à la coloration rose. Il est à noter que Pallary même décrit la var. alba comme étant très rare.

Espèces ressemblantes

Parmi les espèces du genre Clanculus (et du sous-genre Clanculopsis) présentes en Méditerranée, la seule possibilité de confusion des troques de Jussieu (C. jussieui) est celle avec la troque perlée (C. cruciatus). La troque-corail (C. corallinus), également méditerranéenne, possède la forme des dents sur le bord interne de l’ouverture nettement plus développée que dans le sous-genre Clanculopsis et ne présente que rarement une coloration de la coquille similaire à celle de la troque de Jussieu.

- Clanculus cruciatus (Linnaeus, 1758) présente une forme très semblable à celle de C. jussieui, mais cette troque est généralement un peu plus petite et légèrement plus arrondie, avec des tours un peu plus convexes et une spire* plus élevée. Les deux espèces peuvent facilement être confondues si elles sont observées du côté de l’ombilic* qui est blanc et à peu près de la même taille. La columelle* des deux se termine par une denticulation simple, typique pour le sous-genre Clanculopsis. La forme des dents des deux espèces est quasiment identique, mais l’ouverture arrondie est un peu plus ovale chez C. jussieui. La columelle semble être légèrement plus arquée, concave chez C. cruciatus.

Le critère sûr et le plus important pour la distinction de ces deux espèces est l’absence de cordons granuleux chez la troque de Jussieu. Et cela même si la coloration peut être très similaire, suivant la variété. La troque de Jussieu ne présente jamais des petits tubercules arrondies (perles) sur les cordons, typiques pour la troque perlée.

Il est à noter que le premier cordon sous-sutural* chez la troque de Jussieu peut présenter parfois une certaine tuberculation*, mais en regardant de près, il ne s’agit pas de granulation sous forme de petites perles arrondies, mais ce « faux » cordon granuleux ne présente qu’une suite des stries transverses, le découpant ainsi en nombreux petits tronçons. Cela est dû aux stries d’accroissement, qui sont plus accentuées vers la suture. Ce phénomène de faux cordon granuleux n’est toutefois pas typique pour l’espèce.

Quant à la comparaison visuelle des spécimens vivants, le corps de la troque de Jussieu est généralement plus sombre et les taches irrégulières ornant la partie visible du mollusque chez la troque perlée sont atténuées, voire inexistantes. Les tentacules* en gris anthracite sont également plus foncés.

En ce qui concerne la sous-espèce C. jussieui debilis var. rosea, les petites coquilles roses peuvent être comparées à Homalopoma sanguineum (Linnaeus, 1758), un petit gastéropode de la famille des Colloniidae (ordre Trochida) aussi appelé turbo corail. Celui-ci se rencontre en Méditerranée et en mer Rouge. Cet escargot possède une toute petite coquille de 4 à 7 millimètres reconnaissable à sa couleur rose ou rougeâtre et ses stries au relief prononcé qui s'étirent sur la longueur de l'enroulement. Contrairement à la troque de Jussieu, son ombilic est tout petit et il n’y a pas de denticulation au droit de l’ouverture. La columelle n’est pas détachée.

Plusieurs autres espèces de la famille des Trochidae peuvent présenter une coloration similaire à celle des troques de Jussieu, à savoir une coquille de couleur brun foncé avec parfois quelques petits motifs plus clairs, ou pas. En Méditerranée, c’est le cas des gibbules suivantes :

- Steromphala varia (Linnaeus, 1758) possède une coquille plus fine et de forme moins arrondie, un ombilic blanc, ouvert et plus large. La columelle de la coquille est lisse, sans les dents caractéristiques des troques. Les stries (cordons) de Steromphala varia sont généralement plus fines et plus resserrées que celles de la troque de Jussieu.

- Gibbula turbinoides (Deshayes, 1835) présente une coquille plus haute, moins large et de couleur généralement plus claire et plutôt roux que brun, mais le critère de couleur peut être une piste de distinction peu fiable, notamment en considérant la variabilité d’espèce chez la troque de Jussieu. De plus, comme la gibbule possède également les cordons concentriques voisins de l’ombilic, tesselés* de blanc et de brun, les deux peuvent être très similaires. Cependant l’ombilic de la coquille chez la gibbule est lisse, plus petit et la denticulation en bord interne de l’ouverture est absente. Les cordons chez cette gibbule ont une épaisseur irrégulière alors qu’ils sont réguliers ou manquants chez la troque. Par ailleurs, les parties visibles de la gibbule présentent une coloration crème jaunâtre, voire beige avec des taches orangées et les tentacules sont jaunes ce qui est bien différent de la coloration foncée de la troque de Jussieu.

- Phorcus richardi (Payraudeau, 1826) ou gibbule de Richard dont la coquille est généralement différente et le risque de confusion est peu probable. Néanmoins, il est possible de trouver des exemplaires juvéniles de couleur brun sombre avec motifs grisâtres qui, par leur coquille lisse, large et convexe, s’approchent de la troque de Jussieu. L’ombilic de la gibbule de Richard est en revanche bien différent, plus large et lisse, sans aucune denticulation ou pli. La paroi de la coquille est également plus fine et plus lisse.

Alimentation

Comme toutes les espèces de la famille des troques, la troque de Jussieu est exclusivement herbivore.
Elle se nourrit de détritus végétaux et d’algues microscopiques qui se développent sur la surface rigide des blocs rocheux et des pierres. En se déplaçant, la troque utilise sa râpe linguiforme (la radula*), située dans sa bouche pour dilacérer cette couche fine par des mouvements de va-et-vient et pour pouvoir collecter les particules détachées.

Reproduction - Multiplication

Il s’agit d’une espèce dont les sexes sont séparés (espèce gonochorique*). Après la copulation, les spermatozoïdes* sont stockés dans un réceptacle séminal où a lieu la fécondation, à l'intérieur du corps de la femelle. Le délai entre l’accouplement et la ponte des œufs chez les troques n’est pas précisément documentée. Au moment de la ponte, dans la famille des Trochidae trochinae, la femelle, en général, dépose les œufs sur le fond un par un ou en masse gélatineuse.

Selon certains auteurs, le développement peut être direct sans passage par un stade larvaire* planctonique*. D’autres sources suggèrent un stade larvaire planctonique de durée variable selon que les conditions du milieu sont plus ou moins favorables. Les embryons* se métamorphosent* en larves trochophores* puis véligères* avant de se poser sur le fond et devenir de petites troques.
Cette controverse demanderait des informations complémentaires.

Certains articles indiquent que chez Clanculus berthelotii (d'Orbigny, 1840), la femelle dépose les œufs dans les rainures à la surface de sa coquille, en les recouvrant d’une couche de mucus pour les maintenir en place. Nous pouvons imaginer que la ponte chez les troques de Jussieu, assez proches des troques de Berthelot présent aux îles Canaries, se déroule de manière similaire, mais ce point demande une vérification même pour la troque de Berthelot.

Les données sur la durée de vie des troques de Jussieu ne sont pas disponibles.

Vie associée

Les différentes sources consultées ne précisent aucune association particulière connue avec d’autres espèces animales ou avec des espèces végétales. Toutefois, cette espèce est souvent trouvée en Méditerranée au même endroit que les autres troques, comme la troque perlée Clanculus cruciatus du même genre ou la troque pygmée Jujubinus exasperatus du genre Jujubinus. Sa présence a été observée également en compagnie de plusieurs espèces du genre Steromphala, par exemple Steromphala racketti (Payraudeau, 1826) sur la côte catalane ou Steromphala adansonii (Payraudeau, 1826) observée sur la côte varoise.

L’espèce a également été signalée au même endroit que le calliostome de Laugier, Calliostoma laugieri (Payraudeau, 1826), en Espagne (région d’Almeria) ou en France, dans le Var (83).

Dans les différentes publications consultées, cette espèce est associée aux herbiers de posidonies ou de zostères, ainsi qu’aux algues brunes cystoseires. Elle est aussi souvent mentionnée dans des zones rocheuses riches en spongiaires et en algues coralligènes*.

Clanculus jussieui est l’hôte d’un endoparasite*, le ver plathelminthe Podocotyle scorpaenae (Rudolphi, 1919) Bartoli & Gibson, 1991, au stade larvaire*.

Divers biologie

Les différentes sources biographiques mentionnent la présence des Clanculus jussieui comme très commune dans toute la Méditerranée et pendant toute l’année, notamment dans les premiers 5 à 10 mètres de profondeur. Toutefois, elle semble être plus présente sur les côtes nord de la Méditerranée qu’au sud. En Méditerranée française, l’espèce est mentionnée comme fort commune sur les côtes de Provence et en Corse. Elle est indiquée comme fort abondante sur les côtes de la Sicile. Cette espèce est généralement plus abondante que son congénère C. cruciatus.
Nous ajoutons que les observations répertoriées dans les différentes bases de données comme GBIF (Global Biodiversity Information Facility) montrent la tendance des variétés plus claires (couleur rougeâtre, rose ou brun clair) à se présenter plutôt le long des côtes sud de la Méditerranée (région de Gibraltar, côtes tunisiennes, Crète et autres îles grecques…).

La troque de Jussieu est souvent rencontrée également à l’état de fossile et subfossile.
La présence historique des troques de Jussieu dans le bassin méditerranéen est signalée avec certitude depuis le Pléistocène (époque géologique s'étendant de 2,5 millions d'années à 11 700 ans avant le présent). Les données correspondantes proviennent des régions de France, d’Italie ou de Grèce (Rhodes). Les signalements plus anciens, correspondants à l’époque de Pliocène, restent limités aux régions d’Italie (Piémont et Ligurie, Toscane, Sicile) où les recherches italiennes se sont concentrées, mais quelques données espagnoles sont également disponibles.
Nous ajoutons, quant aux similitudes repérées par des chercheurs paléontologues, que les fossiles de Clanculus jussieui présentent une certaine ressemblance avec les fossiles de Clanculus (Clanculopsis) umbilicovadus décrit par Landau, Van Dingenen et Ceulemans, 2017, mais l’ombilic de celui-ci est moins profond que l’ombilic de C. jussieui. La présence de cette espèce fossile du genre Clanculus, associée au Miocène supérieur (11,6 à 5,3 millions d'années avant le présent), est signalée en Maine-et-Loire, au nord-ouest de la France.

Informations complémentaires

Les coquilles de la troque de Jussieu, trouvées en épave sur la côte ont très souvent la même taille, entre 8 et 11 mm. Cette régularité de forme et une coloration vive associée à une pigmentation qui se préserve bien dans le temps ont donné à cette espèce une valeur décorative, appréciée par nos ancêtres même dans la Préhistoire. Cette conclusion a été consolidée par les recherches menées en Italie, dans la grotte de Fumane (Préalpes de Vénétie). La grotte s’inscrit dans un ensemble de sites préhistoriques situés au nord de Vérone.

La culture archéologique concernée, le « Protoaurignacien », présente des objets de parures faits de coquillages, dents ou ambres percés, ainsi que le travail d’autres matières animales dures. Le travail est généralisé, et ce dans un but surtout décoratif pour les coquillages trop petits pour être collectés pour la consommation. Cette culture est associée à une vague d'arrivée d'Hommes modernes (Homo sapiens) en Europe, autour de 42 000 à 39 000 ans avant notre ère. En plus des troques de Jussieu qui sont de couleur brune, les espèces les plus appréciées sont celles dont les coquilles sont rouges, à savoir les espèces Homalopoma sanguineum (Linnaeus, 1758), Clanculus corallinus parmi plusieurs autres.

Dans WoRMS on trouve en synonymie Gibbula schroeterius. Il s’agit d’une espèce décrite par A. Risso en 1826, en p.135 du tome IV de son ouvrage « Histoire naturelle des principales productions de l'Europe Méridionale et particulièrement de celles des environs de Nice et des Alpes Maritimes ». La gibbule de Schroeter est définie par une coquille rose à 5 tours de spire* sculptés par des stries longitudinales, avec les interstices élevés, tuberculés (tubercules réguliers). Cette description ne correspond pas à la troque de Jussieu, d’autant plus que sur la page suivante du même livre figure la description de Gibbula morio, considérée dans WoRMS également en synonymie de C. jussieui. Il semble que la synonymie avec G. schroeterius soit une erreur.

Origine des noms

Origine du nom français

Le nom troque est une adaptation française du nom scientifique [Trochus], en latin, basé sur le mot grec ancien [trokhós] qui signifie roue, disque ou cerceau et, à l'origine, « celle qui roule ». La première mention de ce nom daterait de 1558 (édition posthume en français, sinon 1554), elle est attribuée au naturaliste français Guillaume Rondelet (1507-1556) qui s’en est servi pour nommer diverses espèces de coquillages dans son œuvre « L’histoire entière des poissons », parue à cette date.

Le nom actuel complet de la troque de Jussieu vient de la dédicace de cette espèce par le zoologiste français M. Benjamin Charles Marie Payraudeau (1798-1865) à son confrère scientifique, M. Adrien Henri de Jussieu (1797–1853), célèbre botaniste français et, à l’époque de Payraudeau, professeur au jardin du Roi. Il est à noter qu’Adrien H. de Jussieu vient d’une famille de scientifiques et de hauts fonctionnaires célèbres, comptant parmi ses membres cinq botanistes du XVIIe au XIXe siècle. Certaines sources mentionnent que la dédicace de l’espèce a été faite au père d’Adrien, M. Antoine Laurent de Jussieu (1748-1836). Cette attribution est erronée, la dédicace faite par Payraudeau étant bien explicite.

Contrairement aux nombreuses autres espèces dédicacées dont le « nom d’honneur » a disparu par la suite, la troque de Jussieu a pu conserver son nom jusqu’à nos jours, même si, dans le passé, elle n’a pas été toujours identifiée comme une troque, mais plutôt comme une gibbule (gibbule brune) ou un monodonte (monodonte de Jussieu). Nous ajoutons que le terme historique gibbule est vague et souvent employé pour désigner de nombreuses espèces de petits gastéropodes. L’appellation historique monodonte correspond à la traduction du nom scientifique Monodonta Jussiœi de Payraudeau, 1826, faisant référence à la petite dent du coquillage au niveau de l’ouverture (monodonta).

L’adjectif brune fait référence à la coloration typique de l’espèce qui, dans la Méditerranée occidentale, présente très souvent une couleur brun foncé, proche du chocolat.

Nous ajoutons que le nom commun grecque [Trokhós maséla] qui peut être traduit comme « roue dentée » fait référence au dessin entourant l’ombilic* de la coquille, une alternance des taches ou des points pâles et foncés qui donnent pratiquement l’apparence d’une vraie roue dentée.

Origine du nom scientifique

Clanculus : du latin [clanculum] = secret, caché. Le nom de genre a été créé en 1810 par le naturaliste malacologue Denys de Montfort (1766-1820). Denys de Montfort l’a créé pour le superbe Trochus pharaonius et le comparait à un « bouton caché sous une mouche ». Nous ajoutons que Blainville en 1817 a utilisé une forme erronée Clangulus. Cette dernière apparaît parfois dans les nomenclatures historiques de l’espèce.

jussieui : de l’attribution en latin à M. Adrien de Jussieu. La forme actuelle est une variante du nom de l’espèce d’origine, donné par Payraudeau (1798-1865) en 1826 sous forme de Jussiœi. Cette première version, un peu compliquée à épeler, est révisée par Philippi en 1836 comme Jussieui. Nous ajoutons que d’autres formes dérivées ou erronées apparaissent dans l’histoire du nom de cette espèce, à savoir Jussœi, Jussien ou Jussieuii.

Le nom de genre scientifique secondaire, souvent mentionné dans la littérature, Clanculopsis (à l’aspect de Clanculus), correspond à un sous-genre, proposé en 1897 par le malacologue italien T. d. M. Monterosato (1841-1927) pour les deux espèces méditerranéennes, Clanculus cruciatus et C. jussieui, qui se distinguent des autres Clanculus par la forme de leur ouverture et de leur columelle*, terminée par une faible denticulation contrairement à celle, beaucoup plus développée, chez les autres espèces du genre Clanculus. Le sous-genre Clancullela, parfois mentionné dans les sources historiques et aujourd’hui abandonné, est considéré comme synonyme de Clanculopsis. Nous ajoutons que le sous-genre Clanculopsis, conservé jusqu’à présent, n’est pas le seul sous-genre du genre Clanculus qui existe.

En ce qui concerne la sous-espèce C. jussieui debilis défini par Pallary en 1904, le nom debilis fait référence à l’aspect plus petit et plus fragile des coquilles de la troque présentes dans la région de Gabès, souvent associées à la coloration rose. Il s’agit d’un mot latin dérivé de [habeo] = avoir (en main), avec le préfixe [de-] et le suffixe [-ilis], littéralement « pas bon, bon à rien ». Sous forme d’adjectif, la signification correspond donc à quelque chose de faible, invalide, infirme, etc.

Classification

Numéro d'entrée WoRMS : 141773

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Mollusca Mollusques Organismes non segmentés à symétrie bilatérale possédant un pied musculeux, une radula, un manteau sécrétant des formations calcaires (spicules, plaques, coquille) et délimitant une cavité ouverte sur l’extérieur contenant les branchies.
Classe Gastropoda Gastéropodes Mollusques à tête bien distincte, le plus souvent pourvus d’une coquille dorsale d’une seule pièce, torsadée. La tête porte une ou deux paires de tentacules dorsaux et deux yeux situés à la base, ou à l’extrémité des tentacules.
Sous-classe Vetigastropoda Vétigastropodes

Coquille de forme très variable, la plupart des espèces possèdent un opercule. La tête possède une seule paire de tentacules céphaliques et le mufle porte la bouche. Des tentacules épipodiaux* (à rôle sensoriel) sont présents sur les côtés du corps.

Ordre Trochida Trochida
Famille Trochidae Trochidés

Coquille de 3 à 130 mm, très variable, colorée ou avec des bandes sombres, quelques tours seulement. intérieur de la coquille nacré. Opercule corné, circulaire multispiré. 3 ou plus paires de tentacules épipodiaux le long du pied. d'après Wikipédia.

Sous-famille Trochinae Trochinés
Genre Clanculus
Espèce jussieui

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