Petit amphipode vivant dans un tube de vase vertical à l'extrémité aplatie
Antennes aussi longues que le corps
Antennes couvertes de grandes soies
En Bretagne Sud, en tapis très denses, sur des fonds de 25 à 30 m
Associé à des cratères de dégazage (ou pockmarks)
Haricot, fayot
Atlantique et Méditerranée
Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises], ○ [Méditerranée française]Cette espèce a été observée et étudiée du sud de la Bretagne (de la pointe de Penmarc’h jusqu’à l’estuaire de la Loire) aux côtes marocaines ainsi qu’en Méditerranée (sud de la France, Corse, Italie et Israël).
Haploops nirae est observé de 15 à 320 m de profondeur sur des fonds de vase ou de sable vaseux. Dans le sud de la Bretagne, cette espèce grégaire est associée systématiquement à des pocksmarks (petits cratères sous-marins de dégazage de méthane de 1 à 35 m de diamètre).
Chaque individu vit dans un tube de vase à l'extrémité aplatie (ce dernier ressemble à une cosse de légumineuse) disposé verticalement dans le sédiment. Ces tubes peuvent atteindre 5 cm de long pour un individu adulte mais ne dépassent du sédiment que de 2 à 3 cm.
Haploops nirae est un amphipode grégaire. Il s’agit donc d’un petit crustacé au corps aplati latéralement mesurant de 3 à 11 mm de long. Comme tous les amphipodes il porte de nombreux appendices pairs sur sa face ventrale.
Chez un amphipode classique : (voir le schéma)
La détermination des différentes espèces tubicoles* du genre Haploops sur des critères morphologiques est très délicate car elles se ressemblent beaucoup. Il y aurait 28 espèces réparties dans le monde entier dont 11 dans l’Atlantique.
Les Haploops du sud de la Bretagne ont d’abord été considérés comme appartenant à l’espèce Haploops tubicola. Cette dernière espèce présenterait des « joues » blanches visibles à l’œil nu.
Les Haploops sont strictement suspensivores* et ne quittent pas leur tube pour se nourrir. Ils filtrent le plancton* et les particules en suspension dans le milieu environnant en balayant la masse d'eau avec leurs antennes. Ils se tiennent en position dorsale près de l’orifice du tube.
Chez les amphipodes un mucus visqueux, sécrété par les gnathopodes, couvre les antennes, en plus es antennes des Haploops portent des rangées de soies* (les soies principales) espacées de 110 à 120 µm. Ces soies portent d’abondantes petites soies secondaires espacées de 20 µm. L’ensemble constitue un tamis particulièrement fin qui permet de récupérer entre autres le phytoplancton. Ce sont les pattes qui, en brossant les antennes ramenées contre le corps, vont permettre d’amener à la bouche les éléments capturés.
Le taux de filtration de cette espèce est beaucoup plus élevé comparé à de nombreux autres suspensivores (bivalves*, gastéropodes ou annélides* polychètes*). Toutefois elle profiterait surtout de la mise en suspension des particules lors des courants de marée.
Les Haploops vivent 2 à 2,5 ans et ne se reproduisent qu’une seule fois dans leur vie à l’âge de 2 ans. Les mâles, peu nombreux, quittent leur tube et mènent une courte vie pélagique* alors que les femelles restent dans leur tube jusqu’au moment de l’accouplement. Celui-ci a lieu, entre novembre et janvier, en pleine eau. Les mâles meurent peu de temps après. Les femelles regagnent le fond et reconstruisent un tube. Elles incubent leurs embryons (en moyenne 30) dans une chambre incubatrice (ou marsupium*) formée par des expansions lamelleuses des péréiopodes appelées oostégites*. Au printemps, après 3 mois d’incubation, les juvéniles (identiques aux parents mais beaucoup plus petits) sont expulsés. Le développement est direct, il n’y a pas de phase larvaire. Ces juvéniles sont aptes à se nourrir et à construire un tube. Les femelles meurent peu de temps après l’expulsion des jeunes.
La présence de fortes concentrations d’Haploops (6 800 à 25 500 individus par m², ce sont les densités les plus élevées observées pour ce genre) modifie l’écosystème. Les tubes qui constituent un piège à vase, rendent le chalutage difficile car ils colmatent les filets. Le milieu créé par ces amphipodes est particulier : les espèces associées à Haploops sont différentes de celles que l’on trouve aux alentours. Certaines espèces rares d’annélides polychètes et d’autres crustacés amphipodes (comme Photis inornatus) sont uniquement trouvées parmi les tubes d’Haploops. Plusieurs espèces comme les roussettes, le tacaud, la dorade grise, la vieille commune, le gobie noir, le syngnathe aiguille, l’étrille, la coquille saint-jacques et Antedon bifida y trouvent un habitat préférentiel de même que pour la baudroie et le saint Pierre. Alors que les poissons plats qui ne peuvent plus s’enfouir et le merlu, le merlan, le bar présents dans les environs se tiennent à l'écart de ces concentrations d'Haploops..
Ces vasières à Haploops exercent un rôle de récif et offrent un espace de nourricerie auquel les Haploops eux-mêmes contribuent et un refuge à l'abri du chalutage.
De telles espèces qui par leur activité biologique modifient les conditions physiques et biologiques de leur environnement sont appelées espèces ingénieures*.
Ces tubes, construits à l’aide des antennes et des pattes, sont constitués d’un mélange de vase, de pseudofèces (les particules non ingérées par l’animal) et de mucus (des mucopolysaccharides) sécrété par des glandes glutinifères (= qui portent de la colle) situées dans les péréiopodes. Au cours de la construction de son tube l’espèce H. nirae opère une sélection des particules sédimentaires. En effet, les caractéristiques des sédiments présents dans les tubes sont différentes du sédiment qui compose le milieu. Cette espèce utilise les particules les plus fines.
Le tube s’allonge et s’élargit au fur et à mesure de la croissance de l’animal. Chaque tube est occupé par un individu et les dimensions de celui-ci (la longueur mais aussi la largeur du tube ) sont proportionnelles à la taille de l’individu qu’il héberge. Ainsi à l’âge adulte, chaque Haploops vit dans un tube de 4 à 5 cm de long dont une partie est enfouie dans le sédiment alors que la partie supérieure est dressée au-dessus de la surface du sédiment. L'animal se place près de l’extrémité supérieure.
Le mucus sécrété par Haploops nirae serait à l’origine du développement de certaines populations de diatomées*.
La présence des colonies de Haploops nirae semble liée de façon très étroite à l’activité des pockmarks. L’aire de répartition de ces pockmarks coïncide exactement avec celle des Haploops. Les pockmarks sont des dépressions sédimentaires, dans des sédiments à grains fins (comme de la vase) de forme généralement circulaire d’un mètre à 35 m de diamètre et de quelques dizaines de centimètres de profondeur jusqu'à moins de 2. Ces structures sont présentes entre 15 et 30 m de profondeur. Au large de Concarneau on observe une densité de 2 500 pockmarks par km². Ces figures géologiques sont liées à l’échappement de fluides (dégazage) comme du méthane d’origine biogénique*.
Les mouvements des masses d'eau liés à la marée semblent être les candidats idéaux pour déclencher l’expulsion de méthane dans l’eau. Ce qui provoquerait la remise en suspension des sédiments alentours et engendrerait une turbidité nécessaire au nourrissage des Haploops de façon récurrente.
Les Haploops peuvent être trouvés sur les côtes de l’hémisphère nord à de très faibles densités (de l’ordre de quelques individus par m²). Cependant, d’après les connaissances actuelles, seuls trois endroits connus au monde abriteraient de denses populations d’Haploops :
Les scientifiques ont observé en Bretagne sud une tendance à l’expansion. Par exemple en baie de Concarneau : les populations couvraient 650 ha en 1963 et 3680 ha en 2003. Soit pour la Bretagne sud plus de 100 km² au total sont couverts par des tubes d'Haploops.
Fayots ou haricots : ces noms sont donnés par les pêcheurs probablement du fait que les tubes de ces animaux, qui colmatent les chaluts, ressemblent à des gousses de haricots.
Gammare des tubes en haricot (proposition de DORIS pour avoir un nom précis)
Haploops : du grec [haplos] = simple et du grec [ops] = œil. Lilljeborg en 1855 a créé ce genre et a précisé que le nom est lié au fait que les yeux de ces amphipodes sont simples et non pas composés.
nirae : Richard Kaïm-Malka a décrit cette espèce en 1976 et l’a dédiée à son épouse Nira.
Numéro d'entrée WoRMS : 101951
Termes scientifiques | Termes en français | Descriptif | |
---|---|---|---|
Embranchement | Arthropoda | Arthropodes | Animaux invertébrés au corps segmenté, articulé, pourvu d’appendices articulés, et couvert d’une cuticule rigide constituant leur exosquelette. |
Sous-embranchement | Crustacea | Crustacés | Arthropodes à exosquelette chitineux, souvent imprégné de carbonate de calcium, ayant deux paires d'antennes. |
Super classe | Multicrustacea | ||
Classe | Malacostraca | Malacostracés | 8 segments thoraciques, 6 segments abdominaux. Appendices présents sur le thorax et l’abdomen. |
Sous-classe | Eumalacostraca | Eumalacostracés | Présence d’une carapace recouvrant la tête et tout ou partie du thorax. |
Super ordre | Peracarida | Péracarides | Les femelles sont dotées d'une cavité d'incubation formée par des expansions lamelleuses des péréiopodes. |
Ordre | Amphipoda | Amphipodes | Péracarides comprimés latéralement, dépourvus de carapace, et possédant de nombreuses paires d'appendices souvent modifiés. Ils sont représentés par les gammares, les talitres, les caprelles... |
Sous-ordre | Amphilochidea | Amphilochide | |
Famille | Ampeliscidae | Ampeliscidés | |
Genre | Haploops | ||
Espèce | nirae |
Vue rapprochée d'un fond colonisé par Haploops nirae
Les tubes abritant chacun un individu sont disposés verticalement dans le fond.
Au large de Trévignon (29), 25-30 m.
2009
Vue générale d'un site colonisé par Haploops nirae
L'étoile de mer Marthasterias glacialis se déplace sur un fond couvert de tubes d'Haploops nirae.
Au large de Trévignon (29), 25 à 30 m.
2009
Un individu d'Haploops nirae
Les antennes couvertes de soies sont visibles sur cet individu hors de son tube.
Au laboratoire, échantillon récolté au large de Trévignon (29), 25-30 m
2009
Un individu et son tube
La position de cet Haploops n'est pas naturelle. L'animal en position d'alimentation devrait être couché perpendiculairement à l'axe du tube, la face ventrale avec les appendices et les antennes à l'extérieur. Toutefois les antennes sont bien visibles.
Au laboratoire, individu récolté au large de Trévignon (29), 25-30 m
2009
Tube découpé
Un Haploops dans son tube. Pour s'alimenter l'animal se place sur le dos avec les antennes et les différents appendices vers le haut.
Au laboratoire, individu récolté au large de Trévignon (29),25-60 m
2009
Schéma de la disposition du tube et de la position de l'animal
Le schéma de gauche montre l'organisation du tube et celui de droite la position de l'animal lorsqu'il s'alimente.
Schémas A et B figure 3 p 15 extraits de la thèse de Carine Rigolet 2013 (schéma A modifié d’après Mills 1967).
Reproduction de documents anciens
2013
Dessin d'un individu d'Haploops nirae femelle
Une des principales caractéristiques de cette espèce sont les antennes aussi longues que le corps. Les antennes des Haploops sont couvertes de soies afin de capturer le phytoplancton.
Seuls les appendices du côté droit sont représentés.
Dessin de R. Kaïm-Malka 1976
p 289 pl IX fig a
Reproduction de documents anciens
1976
Dessin d'un mâle d'Haploops nirae
Chez ce mâle les antennes sont particulièrement longues.
Seuls les appendices du côté droit sont représentés.
Dessin de R. Kaïm-Malka 1976
p 295 pl XII fig a
Reproduction de documents anciens
1976
Schéma d'un Haploops femelle
Ce schéma montre les différentes parties anatomiques d'un Haploops. Le corps est divisé en trois parties : la tête, le thorax ou péréion (qui porte ventralement les péréiopodes) et l'abdomen ou pléon ; ce dernier comprend d'avant en arrière le pléosome (les 3 premiers segments portant les pléopodes) et l'urosome (portant les uropodes).
Seuls les appendices du côté droit sont représentés.
Schéma de Kaïm-Malka complété par des légendes.
Reproduction de documents anciens
1976
Rédacteur principal : Yves MÜLLER
Vérificateur : Pierre NOËL
Responsable régional : Yves MÜLLER
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La page de Haploops nirae dans l'Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN