Corps de section ronde, de couleur beige à brune
Dans un trou dans le sédiment
Tête avec 5 antennes beiges annelées de brun
Grandes mâchoires en forme de crochet dépassant de part et d'autre de la tête quand il chasse
Segments portant une paire de parapodes courts
Nocturne
Eunice géante (également utilisé pour le ver géant des Antilles Eunice sp.)
Bobbit worm (GB), Gusano Bobbit (E), Verne Bobbit (I), Bobbitwurm (D)
Nereis aphroditois Pallas, 1788
Leodice gigantea Savigny in Lamarck, 1818
Eunice flavopicta Izuka, 1912
L'espèce décrite dans cette fiche est le ver Bobbit avec ses mâchoires terrifiantes. Son nom scientifique trouvé dans la littérature, Eunice aphroditois, est utilisé le plus souvent pour tous les vers géants ! Il se peut que des études futures changent le nom scientifique de cette espèce. De même, il semble évident que dans la littérature, E. aphroditois englobe plusieurs espèces. Seules des analyses génétiques pourraient trancher.
Nous avons donc choisi, pour le ver Bobbit, le nom de Eunice cf aphroditois, sûrement plus adapté.
Indo-Pacifique mais peut-être circumtropical
Zones DORIS : ● Indo-PacifiqueLe ver Bobbit serait cosmopolite, avec une distribution circumtropicale*. Cependant sa présence dans l'Atlantique tropical est douteuse, cette espèce ayant souvent été confondue avec d'autres vers géants. De même, sa présence dans l'océan Indien reste aussi à confirmer (même si l'holotype* de E. aphroditois provient du Sri Lanka). En revanche, dans l'océan Pacifique, le ver Bobbit a été observé avec certitude à Singapour, aux Philippines, en Indonésie (Bali et notamment dans détroit de Lembeh dans le nord du Sulawesi où c'est une des attractions), en Papouasie Nouvelle-Guinée. Il est également signalé en Nouvelle-Calédonie mais sous réserve qu'il n'y ait pas eu confusion avec une autre espèce.
Il semblerait donc plutôt que ce soit une espèce du Pacifique tropical Ouest. Sa distribution pourrait cependant être plus vaste, mais son habitat dans les substrats* meubles et son activité nocturne font qu'il est peu rencontré par les plongeurs, sauf à Lembeh où les plongeurs viennent justement pour ce type de fond ("muck dive").
Eunice cf aphroditois vit dans un terrier dans le sédiment (sable, gravier, fonds sablo-vaseux) la journée et ne sort que la nuit pour se nourrir. On le trouve entre 10 et 40 m de profondeur.
Eunice cf aphroditois est une annélide polychète dont la longueur moyenne est généralement de 1 m, même s'il peut atteindre 3 m.
Le corps, de section circulaire d'environ 2,5 cm de diamètre, est de couleur beige à brune, irisée quand on l'éclaire.
La tête porte 5 antennes (palpes) courtes, beiges annelées de brun foncé et une paire d'yeux. La nuit, quand il chasse à l'affût, il déploie ses mâchoires qui sont au nombre de 3 paires. De part et d'autre de la zone portant les antennes, il y a une petite mâchoire portant 4 dents et ne dépassant pas le bord de la tête. Dans la partie ventrale de la tête, il y a de chaque côté, deux mâchoires superposées, en forme de crochet et faisant chacune à peu près le diamètre de la tête. Celle en position supérieure est fine et sans dent alors que celle en position inférieure est plus large et porte plusieurs dents. Quand il se déplace ou ne chasse pas, ses mâchoires sont repliées à l'intérieur de la bouche et ne sont plus visibles.
Le deuxième segment du corps porte en position dorsale une paire (un de chaque côté) de cirres* tentaculaires courts. Tous les autres segments portent de chaque côté une paire d'appendices locomoteurs : les parapodes*, qui ont le même aspect que les cirres tentaculaires. Les segments sont un peu plus foncés que la zone inter-segmentaire.
Il existe de nombreuses autres espèces d'annélides polychètes géantes dans la famille des Eunicidés, signalées dans toutes les mers tempérées à tropicales. C'est ainsi que de nombreuses espèces géantes sont appelées à tord E. aphroditois. Et c'est notamment le cas sur Internet ou dans la littérature ce qui augmente la confusion. En effet, la plupart du temps dès qu'il s'agit d'un ver assez long, il est appelé E. aphroditois ! La description de ces annélides se faisant à partir d'individus morts récoltés lors de campagnes océanographiques, la coloration n'est pratiquement jamais indiquée, alors qu'elle doit avoir une importance dans la différenciation des espèces.
Le meilleur moyen de différencier le vert Bobbit des autres espèces est de regarder la tête. Si des mâchoires en forme de crochet robuste et dépassant de part et d'autre de la tête sont visibles alors c'est bien lui. Si ces crochets sont absents et si en plus c'est une espèce errante, qui se déplace sur le fond, dans les récifs, alors c'est certain, ce n'est pas le vert Bobbit.
Par exemple, en Méditerranée (Adriatique), il ne s'agit pas d'Eunice aphroditois, comme souvent mentionné, mais d'Eunice roussaei Quatrefages, 1866.
Dans les Antilles il existe également une annélide géante : le ver géant des Antilles Eunice sp qui atteindrait lui aussi 2 ou 3 m. Cependant, c'est une espèce errante très mobile alors que E. cf aphroditois vit plutôt dans son terrier et ne le quitte que rarement.
Il existe une (ou plusieurs ?) espèce(s) similaire(s) dans l'Indo-Pacifique, non identifiée(s) (mais très souvent appelée(s) E. aphroditois), qui peu(ven)t atteindre plusieurs mètres, mais elle(s) est(sont) de couleur brun rouge, avec des antennes de couleur uniforme, sans mâchoire apparente et un corps aplati ventralement avec des parapodes bien développés, puisqu'il s'agit d'une espèce errante.
C'est un prédateur vorace, qui pendant la journée se tient dans son terrier, complètement enfoui. Il lui arrive parfois de chasser de jour et dans ce cas, il sort la tête mais la laisse juste au niveau de la surface du sédiment. Il déploie alors toutes ses mâchoires. Ce sont ses 5 antennes munie de chimiorécepteurs* qui détectent le passage de proies, principalement des poissons.
C'est cependant la nuit qu'il est le plus actif dans sa chasse à l'affût. Il sort alors son corps d'environ 10 cm au-dessus du substrat* et attend que des proies passent à sa portée. En quelques dixièmes de seconde il referme ses mâchoires puissantes sur sa proie. Il est capable de couper en deux de petits poissons ... attention à vos doigts ! Une fois la proie capturée, il l'entraîne dans son terrier. Ses mâchoires sont venimeuses.
Habitant les fonds meubles et chassant préférentiellement la nuit, les proies passant le plus souvent à sa portée sont des petits apogons, des poissons-ballons et des rascasses-volantes (Ptérois ou Dendrochirus) qui la nuit nagent lentement juste au-dessus du fond. Il peut également s'accommoder de crabes, crevettes, seiches, poulpes passant à proximité.
C'est une espèce gonochorique* (les sexes sont séparés). Les mâles et les femelles libèrent leur gamètes* directement dans l'eau où a lieu la fécondation. Il semblerait que cette espèce ne se reproduise plus quand elle dépasse une dizaine de centimètres de long, alors qu'elle peut pourtant atteindre 3 m.
Son corps de section circulaire conforte l'idée que cette espèce reste la plupart de son temps dans un trou dans le sédiment. En effet, s'il s'agissait d'une espèce qui se déplace souvent sur le fond, elle aurait sa face ventrale plus aplatie. De même, ses parapodes sont courts et donc peu adaptés à la locomotion. Les espèces errantes ont en général des parapodes bien développés.
Il n'a pas été montré si les parois de son terrier (ou trou) étaient tapissées de mucus comme chez d'autres vers.
Ce ver injecterait un venin anesthésiant ou tranquillisant dans sa proie, souvent bien plus grosse que lui, ce qui lui permettrait de la consommer tranquillement dans son trou sans qu'elle ne se débatte.
Avec ses puissantes mâchoires, Eunice cf aphroditois peut infliger de sérieuses blessures au plongeur qui s'approcherait un peu trop près. De plus, le corps est couvert de petites soies venimeuses pouvant provoquer un engourdissement chez l'Homme.
Paradoxalement, alors que cette espèce a été signalée tout autour du globe, mais il s'agit souvent d'une mauvaise identification, elle est peu étudiée et mal connue. De plus les informations que l'on peut trouver dans la littérature font souvent référence en fait à plusieurs espèces.
L'animal le plus long mesuré faisait 2,99 m, 433 g et avait 673 segments. Il a été capturé au Japon. Seulement au vu des photos, les antennes sont d'une seule couleur et le corps est nettement aplati ce qui tendrait à montrer qu'il ne s'agit pas de E. aphroditois. En Australie, un spécimen de 6 m aurait été récolté. Cela ne représente finalement pas grand chose par rapport au ver le plus long du monde, un némerte (Lineus longissimus), qui peut atteindre 30 m étiré mais seulement 2-3 mm de section.
Il a été observé que Scolopsis affinis Peters, 1877, un petit poisson fréquentant les fonds sableux, quand il repérait un ver Bobbit, se dirigeait vers le terrier et en soufflant de l'eau, obligeait le ver à s'enfoncer plus profondément dans son trou. De plus, ce comportement attire d'autres congénères qui à leur tour soufflent sur le trou. Le ver est obligé de se retirer encore plus profond et toute la partie supérieure de son terrier est effondrée.
Ver Bobbit est la traduction du nom anglais. Bobbit fait référence au fait divers lié à la famille américaine Bobbit, dont la femme a coupé le pénis de son mari. La raison du choix de ce nom n'est pas claire. Peut-être à cause de la ressemblance des mâchoires avec des ciseaux. A moins que ce ne soit l'aspect du ver, la nuit quand une partie de son corps se dresse au-dessus du sable et pourrait alors faire penser à un pénis.
Cela ne peut certainement pas faire référence au fait que la femme a coupé le pénis de son mari, les Polychètes n'ayant pas de pénis !
Eunice : comme beaucoup de noms de genres de Polychètes, c'est un nom tiré de la mythologie gréco-latine. Il s'agit d'une gracieuse nymphe, une des Néréides, citée par Apollodore.
aphroditois : encore un nom tiré de la mythologie. Aphrodite (ou Vénus chez les romains) est la déesse de l'amour. Comme pour le nom de genre, ce nom n'a aucun rapport avec les caractéristiques anatomiques ou physiologiques de l'animal.
Termes scientifiques | Termes en français | Descriptif | |
---|---|---|---|
Embranchement | Annelida | Annélides | Vers segmentés (annelés) à section cylindrique, à symétrie bilatérale constitués de segments semblables. Le premier segment porte la bouche et le dernier l’anus. Nombreuses formes marines, dulcicoles ou terrestres, libres ou parasites. |
Classe | Polychaeta | Polychètes | Annélides marines. Chaque segment porte des excroissances locomotrices (les parapodes) plus ou moins développées, munies de touffes de soies chitineuses rigides. Chez la plupart des espèces, la tête porte plusieurs organes sensoriels, des mâchoires, et souvent un panache branchial coloré. Animaux libres dans la colonne d'eau ou sur les sédiments mais aussi galéricoles ou tubicoles. |
Sous-classe | Errantia | Annélides Polychètes Errantes | La tête porte plusieurs organes sensoriels et des mâchoires. Animaux très mobiles et prédateurs. Parapodes biramés avec un notopode et un neuropode, chaque lobe du parapode a des baguettes squelettiques (acicule) liant le muscle parapodial aux lobes et aux soies ; cirres parapodiaux dorsaux et ventraux ; deux ou trois palpes sur le prostomium. |
Ordre | Eunicida | Eunicides | Polychètes carnassiers qui possèdent: trois antennes souvent entourées par deux palpes, des branchies bien développées sur les parapodes, une métamérie bien conservée, pas de véritable trompe exsertile mais des mâchoires exsertiles constituées d'au moins une paire de pièces calcifiées. |
Famille | Eunicidae | Eunicidés | Polychètes libres et carnassiers possédant 1, 3 ou 5 antennes céphaliques, animaux avec de nombreux segments. dans les sables et graviers. |
Genre | Eunice | ||
Espèce | cf aphroditois |
Monstre marin
Avec ses énormes mâchoires déployées, cette espèce est plutôt effrayante.
Lembeh, Sulawesi, Indonésie, 8 m, de nuit
27/06/2015
Tête
La tête porte 5 antennes beiges annelées de brun et 3 paires de mâchoires : de chaque côté une petite mâchoire portant 4 dents (flèche rose), une grande mâchoire fine et sans dent (flèche bleue) et une grande mâchoire plus large et avec plusieurs dents (flèche verte). Quand ce ver se déplace ou ne chasse pas, ces 3 paires de mâchoires sont repliées à l'intérieur de la bouche et ne sont plus visibles.
Lembeh, Sulawesi, Indonésie, 8 m, de nuit
27/10/2013
Vue dorsale
Le deuxième segment du corps porte en position dorsale une paire de cirres tentaculaires courts (flèches vertes). Tous les autres segments portent en position ventrale et de chaque côté, une paire d'appendices locomoteurs (flèches roses) qui ont le même aspect que les cirres tentaculaires. Les segments sont un peu plus foncés que la zone inter-segmentaire.
Lembeh, Sulawesi, Indonésie, 8 m, de nuit
27/06/2015
Vue ventrale
Ce ver est iridescent. La nuit il se tient droit, sorti de quelques centimètre du sable, à l'affût d'une proie.
Lembeh, Sulawesi, Indonésie, 12 m de nuit
24/06/2013
Aux Philippines
La présence du ver Bobbit est attestée aux Philippines, en Indonésie et en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Dauin, Philippines, 16 m de nuit
24/04/2013
Rédacteur principal : Sylvain LE BRIS
Vérificateur : Yves MÜLLER
Responsable régional : Sylvain LE BRIS
Pleijel F., 2007, Polychaetes of New Caledonia, In : Payri C.E., Richer de Forges B. (Eds), Compendium of marine species from New Caledonia : second edition, IRD Nouméa, (7), 175-181.
Salazar-Vallejo S., Carrera-Parra L.F., de León-Gonzálezet J.A, 2011, Giant Eunicid Polychaetes (Annelida) in shallow tropical and temperate seas, Revista de Biología Tropical, 59(4), 1463-1474.
Schulze A., 2011, The Bobbit Worm Dilemma: A Case for DNA, Revista de Biología Tropical, 59(4), 1475–1477.
La page de Eunice cf aphroditois dans l'Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN