Corophie tourneur/des sables

Corophium volutator / arenarium | (Pallas, 1766) / Crawford, 1937

N° 5110

Côte atlantique européenne, Méditerranée, côte est de l'Amérique du Nord

Clé d'identification

Antennes 2 larges et très longues, antennes 1 beaucoup plus petites (voir le schéma "vocabulaire")
Corps non comprimé latéralement mais aplati dorso-ventralement
Corps blanchâtre avec des marques brunes
Terriers dans les sédiments vaseux estuariens (C. volutator), dans des sables vaseux (C. arenarium)

Noms

Autres noms communs français

Le "termite" des ostréiculteurs.

Noms communs internationaux

Mud shrimp, mud dwelling amphipod, european mud scud (GB), Wattkrebs, Wattenkrebs, Schlickkrebs (D), Wadkreeftje, slijkgarnaal, langspriet (NL), Almindelig slikkrebs (DK), Slammärla (SE), Bełkaczek pospolity (PL)

Synonymes du nom scientifique actuel

Uniquement pour Corophium volutator :
Oniscus volutator Pallas, 1766
Corophium grossipes Linnaeus, 1767
Gammarus longicornis Fabricius, 1779
Corophium longicorne Latreille, 1806

Distribution géographique

Côte atlantique européenne, Méditerranée, côte est de l'Amérique du Nord

Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises], ○ [Méditerranée française], ● Atlantique Nord-Ouest

Corophium volutator est présent dans l’ouest de la Norvège, en Baltique (jusque dans golfe de Botnie), en Grande-Bretagne et en Irlande, sur la côte atlantique européenne et en Méditerranée, jusqu’à la mer Noire et la mer d’Azov. Il est considéré comme introduit sur les côtes nord-américaines.
Corophium arenarium est présent en mer du Nord, en Manche, en mer d’Irlande, sur les côtes atlantiques et méditerranéennes françaises. On l'observe aussi en Amérique du Nord de la Nouvelle-Ecosse au Maine.

Biotope

Le corophie tourneur creuse des galeries dans les sédiments vaseux souvent réduits en profondeur, des vasières estuariennes, lagunes, prés-salés et chenaux de marées soumis à la dessalure*. Cette espèce est principalement située au-dessus de la mi-marée. Les galeries sont en forme de U de 2 mm de diamètre pouvant s’enfoncer jusqu’à 4 cm de profondeur. Cette espèce supporte des variations de salinité de 2 à 50 ‰ avec un optimum de 15 à 20 ‰. Les individus de cette espèce sont souvent présents en très grand nombre.

Le corophie des sables (proposition de DORIS) vit également dans des terriers un peu plus profonds (5 cm) mais plutôt dans des sables vaseux (donc des sédiments non réduits, plus grossiers et moins saumâtres que pour C. volutator) depuis le niveau de mi-marée jusqu’au bas de l’estran*. Cette espèce accepte des salinités de plus de 30 ‰. Elle constitue également des populations denses.

Description

Ce qui est remarquable à la première observation ce sont les antennes 2 larges et longues (voir le schéma "vocabulaire") qui peuvent chez le mâle atteindre la longueur du corps. Les antennes 1 sont beaucoup plus petites. Les antennes 2 chez les mâles sont plus robustes que celles des femelles (c'est un dimorphisme* sexuel).
Le corps blanchâtre est couvert de marques brunes. Chez Corophium volutator il peut mesurer jusqu’à 11 mm de long. Il est segmenté et aplati dorso-ventralement et non latéralement. La tête est petite avec les deux paires d'antennes pointant vers l'avant. Il y a sept paires de pattes segmentées. Les dernières paires de péréiopodes* sont beaucoup plus longues que les paires précédentes.

Corophium arenarium est semblable à C. volutator. Les deux espèces ont longtemps été confondues. Le corophie des sables est un peu plus petit puisqu’il ne dépasse pas 7 mm de longueur. En plus de la longueur, les deux espèces se différencient uniquement par des caractères visibles à la loupe binoculaire (par exemple au niveau du premier uropode*) et un peu par le milieu de vie quoique, parfois, les populations se chevauchent aux limites de leur répartition.

Espèces ressemblantes

Dans les hauts niveaux de nombreux amphipodes peuvent être présents mais aucun ne présente des antennes 2 aussi développées et ils sont tous aplatis latéralement (comme les gammares) :
Sur le haut des estrans :
- dans les laisses de mer des plages de sable: Talitrus saltator et Talorchestia ;
- dans les galets et cailloutis : Orchestia gammarellus.

Quelques espèces d'amphipodes vivent dans un tube de vase :
- le genre Jassa dans le médiolittoral et jusque dans le circalittoral ;
- Haploops nirae dans le circalittoral.

D’autres espèces de Corophium sont également présentes en Europe et les corophiidés sont encore plus nombreux.

Alimentation

Corophium volutator (et probablement C. arenarium) pratique trois modes d’alimentation selon les conditions de l’environnement.

  • A marée haute, l'animal crée dans son tube un courant d’eau avec ses pléopodes*, et retient les particules en suspension grâce aux soies de ses maxillipèdes* et de ses gnathopodes* (c’est donc un filtreur* suspensivore*),
  • Ou à moitié sorti de sa galerie en ratissant les particules alimentaires aux abords avec ses antennes 2 longues et larges (c’est donc également un dépositivore*).
  • A marée basse en grattant le biofilm* sur les grains du sédiment (c’est donc aussi un brouteur épipsammique – épi = sur et psamm- = sable, ici sédiment-) avec les structures en forme de dents sur le 2e gnathopode.
Ils se nourrissent ainsi de bactéries*, de microalgues* comme des diatomées* épipéliques (épi = sur et pel = vase) et des particules de matière organique de 4 à 63 µm de diamètre. Les diatomées sont écrasées individuellement pour éviter l'ingestion des frustules* siliceux.

Reproduction - Multiplication

Les sexes sont séparés. Mâles et femelles sont légèrement différents. Les femelles sont un peu plus petites que les mâles. Les antennes des femelles sont moins développées et diffèrent par quelques caractères. Il y a donc un dimorphisme* sexuel. Les femelles vivent dans les terriers ou galeries.
À mesure que la marée se retire, les mâles adultes rampent à la surface des sédiments humides à la recherche de terriers occupés par des femelles matures où ils pénètrent si la femelle est réceptive. Des expériences en laboratoire ont montré que les mâles sont attirés par les signaux chimiques (phéromones*) libérés par les femelles. Comme les femelles (de 5 à 6 mm de long) doivent muer avant la copulation, les mâles doivent souvent combattre pour garder les femelles. Il y a copulation quand la femelle est prête.
Le thorax (le péréion) de la femelle porte du côté interne 4 paires de plaques flexibles (les lamelles incubatrices ou oostégites*). Ces structures forment un marsupium* ou poche du couvain. Les femelles y déposent directement leurs œufs. Le développement des 20 à 52 embryons s’effectue pendant deux semaines dans cette poche et les jeunes éclosent sous une forme identique à celle des adultes ; ils subiront ensuite plusieurs mues pour atteindre la taille adulte.
Les juvéniles creusent leur terrier à proximité de celui de leur mère. Il n’y a donc pas de phase larvaire* planctonique* permettant la dispersion de l’espèce. Cette dispersion dépend essentiellement de la capacité de nage des adultes, des courants de marée, de sa grande capacité reproductrice, ainsi que de la zoochorie* (transports par d’autres animaux comme les oiseaux).
Les individus vivent six mois à un an et les femelles ont une à deux périodes de reproduction mais parfois jusqu’à 5 . La reproduction cesse en dessous de la température de 7 °C.

Dans certaines populations de la côte est de l’Amérique du Nord, chez le corophie tourneur, le nombre de femelles est plus grand que celui des mâles. La prédation des mâles par les oiseaux ne suffit pas à expliquer cette différence, certains auteurs proposent que les femelles pratiqueraient l’automixie qui est une forme de parthénogenèse* par fusion de deux cellules haploïdes* produites par la femelle. L'individu issu de ce processus est une femelle.

Vie associée

La présence en grand nombre de coque commune (Cerastoderma edule) et d’arénicole des pêcheurs (Arenicola marina) peut fortement perturber le peuplement de Corophium volutator par la mise en mouvement des sédiments, dérangeant ainsi les amphipodes qui sortent de leurs galeries. Ces derniers sont alors soumis à la prédation par la crevette grise [Crangon crangon (Linnaeus, 1758)], le crabe enragé [Carcinus maenas (Linnaeus, 1758)] et le gobie tacheté [Pomatoschistus microps (Kroyer, 1838)].

D’importantes variations dans la densité du peuplement du corophie tourneur peuvent être dues à la prédation car ces amphipodes sont une importante source de nourriture :
  • à marée basse pour de nombreux oiseaux comme : le bécasseau variable [Calidris alpina (Linnaeus, 1758)], le bécasseau semipalmé [Calidris pusilla (Linnaeus, 1766) -qui peut consommer 50 mâles par minute-], le chevalier gambette [Tringa totanus (Linnaeus, 1758) -qui peut consommer 40 000 Corophium par jour en hiver-], le tadorne de Belon (Tadorna tadorna (Linnaeus, 1758)]
  • et à marée haute pour le flet [Platichthys flesus (Linnaeus, 1758)], le hareng [Clupea harengus Linnaeus, 1758)], le sprat [Sprattus sprattus (Linnaeus, 1758)] et l'éperlan [Osmerus eperlanus (Linnaeus, 1758)].

Le corophie des sables est également un maillon très important du réseau trophique* car il constitue une des principales sources de nourriture pour les oiseaux (comme le gravelot à collier interrompu - Charadrius alexandrinus Linnaeus, 1758-) et pour les poissons.

D’autres organismes consomment les corophies tourneurs comme le némerte Tetrastemma melanocephalum (Johnson, 1837). Des diptères adultes (des mouches dolichopodides) et un coléoptère carabidé [Bembidion laterale (Samouelle, 1819)] consomment le corophie tourneur.

Les terriers en forme de U peuvent être utilisés successivement par plusieurs individus à la suite de luttes intraspécifiques*.

Les Corophium sont les seconds hôtes de Plathelmintes trématodes digènes parasites comme Maritrema subdolum Jägerskiöld, 1909 et Levinseniella brachysoma (Creplin, 1837) qui ont d’abord infecté des gastéropodes comme les hydrobies.

Divers biologie

Les antennes très développées des corophies ont plusieurs fonctions : creusement du terrier, compactage de la paroi du tube, déblayage du sédiment hors de la galerie mais aussi ratissage des particules autour du terrier pour l'alimentation. Quant aux mâles plus fortement pourvus que les femelles, les antennes 2 joueraient peut-être un rôle dans la détection des phéromones des femelles.

Corophium construit dans le sédiment un terrier en forme de « U ». La paroi des galeries est formée de particules sédimentaires compactées, liées par la sécrétion collante des glandes glutinifères (= qui portent de la colle) localisées à la base du second péréiopode*.

Lors d’une eutrophisation* estivale pendant laquelle les entéromorphes (Ulva intestinalis) couvrent complètement le sédiment, les corophies tourneurs peuvent être complètement éliminés. Quand les entéromorphes ont disparu, ces zones sont rapidement recolonisées à partir des peuplements adjacents.

Du fait de la circulation de l’eau dans les terriers de Corophium volutator, l’oxygène dissous dans l’eau pénètre dans les sédiments un peu plus profondément et fait descendre la limite de la zone de sédiments réduits (anoxiques).

En hiver, la prédation peut diminuer fortement la densité des populations.

Informations complémentaires

- Corophium volutator est l'un des organismes les plus abondants dans les vasières estuariennes atteignant des densités de 60 000 et même 100 000 individus par m². Cependant les densités de populations peuvent varier considérablement selon les saisons par exemple de 6 000 individus par m² en hiver à plus de 50 000 individus par m² en été. Lors des périodes de fortes densités, les ouvertures des terriers sont clairement visibles à la surface des sédiments.
- Corophium arenarium forme également des populations denses monospécifiques de plus de 40 000 individus par m².

Dans le milieu de vie de Corophium volutator de nombreuses espèces sont présentes comme :

  • pour les mollusques : l'hydrobie des antipodes [Potamopyrgus antipodarum (Gray, 1843)], l’hydrobie saumâtre [Peringia ulvae (Pennant, 1777)] ;
  • pour les annélides polychètes: la néréis multicolore [Hediste diversicolor (O.F. Müller, 1776)], cette dernière étant remplacée par endroits par Pygospio lelegans Claparède, 1863 ;
  • pour les crustacés, d’autres amphipodes comme Bathyporeia pilosa et B. pelagica.

Le corophie tourneur, par ses importantes populations, joue un rôle important dans le remaniement et la remise en suspension des sédiments.

- Les populations de Corophium sont sensibles aux insecticides à base de pyrèthre d’origine agricole par ruissellement.
- Les nonylphénols sont des molécules utilisées dans l’industrie textile, les peintures, les cosmétiques et les produits nettoyants domestiques. Ils sont théoriquement biodégradables mais bioaccumulables* et persistants. Ce sont des perturbateurs endocriniens qui se fixent aux particules de vase. Leur présence n’est pas mortelle pour Corophium volutator, mais elle réduit leur croissance et provoque l’agrandissement des antennes 2 du mâle qui sont déjà très développées et, ainsi, les rend plus vulnérables à la prédation par les échassiers lorsqu'ils rampent sur la surface de la vase à la recherche de femelles.
- Les éléments traces métalliques (les ex-métaux lourds) souvent présents dans les estuaires (émissaires industriels et eaux usées contaminées) sont toxiques pour Corophium volutator.

Du fait de sa prolificité, Corophium volutator est capable de recoloniser rapidement des zones fortement perturbées.

Dans un ouvrage sur les amphipodes de 1925, on peut lire que le corophie tourneur est en telle quantité que ses mues forment des cordons littoraux d'une épaisseur considérable sur la plage de Gravelines (Nord). Ce n’est plus le cas actuellement.

Les observations de Corophium (et les sous espèces) du Pacifique Nord-Ouest sont probablement attribuables à une ou plusieurs espèces de Sinocorophium.

Origine des noms

Origine du nom français

Corophie : nom donné par Latreille en 1806 sans explication. Ce nom est parfois utilisé au masculin, comme l'a fait Latreille, ou au féminin.
tourneur : traduction simple de « volutator ». Ce devrait être plutôt « tourbillonneur ».

Origine du nom scientifique

Corophium : nom de genre créé par Latreille en 1806 sans explication mais il a donné un nom vernaculaire : corophie.

volutator : du latin [voluto] = tourner ou du latin [voluta] = volute et le suffixe latin [-tor] = agent de l’action donc « tourneur » ou « fait des volutes ». Pallas, qui a décrit cette espèce en 1766, a écrit qu'elle tourne à la surface de l'eau d'une manière unique grâce à ces antennes.

oniscus : du latin [oniscus] = le cloporte.

arenarium : des sables, du latin [arena] = sable.

Classification

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Arthropoda Arthropodes Animaux invertébrés au corps segmenté, articulé, pourvu d’appendices articulés, et couvert d’une cuticule rigide constituant leur exosquelette.
Sous-embranchement Crustacea Crustacés Arthropodes à exosquelette chitineux, souvent imprégné de carbonate de calcium, ayant deux paires d'antennes.
Super classe Multicrustacea
Classe Malacostraca Malacostracés 8 segments thoraciques, 6 segments abdominaux. Appendices présents sur le thorax et l’abdomen.
Sous-classe Eumalacostraca Eumalacostracés Présence d’une carapace recouvrant la tête et tout ou partie du thorax.
Super ordre Peracarida Péracarides Les femelles sont dotées d'une cavité d'incubation formée par des expansions lamelleuses des péréiopodes.
Ordre Amphipoda Amphipodes Péracarides comprimés latéralement, dépourvus de carapace, et possédant de nombreuses paires d'appendices souvent modifiés. Ils sont représentés par les gammares, les talitres, les caprelles...
Sous-ordre Senticaudata
Famille Corophiidae Corophidés

Amphipodes benthiques filtreurs. La deuxième antenne est très longue.

Genre Corophium
Espèce volutator / arenarium

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