Double masse gélatineuse polylobée d'un diamètre de 10 à 40 cm
Chaque masse présente des renflements correspondant à autant de logettes
Présence d'un cocon muqueux parfois peu visible entourant les masses gélatineuses
L'animal responsable de ces constructions n'est en général pas visible à l'œil nu
Appendiculaire, larvacé
Appendicularia, larvacean (GB)
Cosmopolite
Zones DORIS : ● Atlantique Nord-Ouest, ● Europe (côtes françaises), ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises], ○ [Méditerranée française], ● Indo-Pacifique, ○ [Mer Rouge], ● CaraïbesCosmopolite
Ces animaux sont exclusivement planctoniques*. Ils sont présents de la surface jusqu'à des profondeurs de près de 600 m. Un individu appartenant à l'espèce Bathochordaeus charon a été capturé à 598 m de profondeur par un robot sous-marin téléguidé en 2013. La plus forte densité se trouve entre 100 et 300 m de profondeur.
Avec des tailles allant de quelques millimètres à près de 10 cm (taille de l'individu, hors structures muqueuses), les Larvacés du genre Bathochordaeus sont qualifiés de Larvacés géants. Ces minuscules animaux peuvent fabriquer des structures muqueuses filtrantes allant jusqu'à 1 m de diamètre.
L'individu ressemble globalement à la forme larvaire* des tuniciers. Il possède un tronc ovale sur lequel s'insère une queue fine selon un angle d'environ 90°. Le tronc possède différentes ouvertures, dont une bouche et un anus. Il contient tous les organes essentiels de l'animal dont les gonades. Il se déchirera à l'émission des gamètes*, ce qui causera la mort de l'animal. La queue est la partie la plus longue des Larvacés (2 à 10 fois la taille du tronc). Elle est constituée d'une chorde dorsale le long de laquelle se trouve un axe nerveux. Un ensemble de bandes musculaires permet à la queue de bouger parfois frénétiquement. La queue sert au déplacement de l'animal mais aussi à créer un courant d'eau vers les logettes filtrantes.
Des cellules spécialisées, les oïkoplastes, sécrètent le double système gélatineux et muqueux composé de protéines et de cellulose. Le tronc adhère à cette structure relativement rigide, appelée logette ou maison, formée de deux lobes gélatineux de 10 à 40 cm de diamètre tandis que la queue reste libre et mobile. Cette "maison" est entourée d'un voile diaphane pouvant atteindre 1 m de diamètre.
Les trois espèces de Bathochordaeus décrites se distinguent par la forme de leur "maison". Par ailleurs, seul B. mcnutti possède un liseré bleu entourant sa queue.
Confusion possible avec les deux espèces d'appendiculaires du genre Kowalevskia dont K. oceanica Lohmann, 1899 et Kowalevskia tenuis Fol, 1872. Le genre Kowalevskia montre des "maisonnettes" plus circulaires et de plus petite taille.
Les Oïkopleuridés (regroupant Oïkopleura spp. et Bathochordaeus spp.) se distingueront des Fritillarridés et des Kowalevskiidés par des critères de taille, de forme du tronc et de la queue.
L'individu est fixé par le tronc à l’intérieur de la double masse gélatineuse, elle-même enveloppée d'un mucus plus lâche. Ces deux constructions constituent un filtre sophistiqué. Le cocon muqueux externe capture les particules trop grosses pour être ingérées par l'animal tandis que la masse gélatineuse guide les plus petites particules vers la bouche située au niveau du tronc. Ces particules sont constituées de nano-plancton* animal ou végétal mort ou vivant.
Les Larvacés de la famille des Oïkopleuridés, ce qui est le cas des trois espèces du genre Bathochordaeus, sont hermaphrodites*. L'ovaire et les deux testicules arrivent à maturité de manière décalée, ce qui évite l'autofécondation. L'émission des gamètes* se fait dans l'eau, plutôt à proximité de la surface, après l'abandon de la "maison" par l'animal. L'émission des gamètes a pour effet de rompre l'enveloppe externe du tronc de l'animal qui meurt pendant cet acte.
Les œufs semblent avoir une flottabilité neutre, certains coulant doucement et d'autres remontant doucement. A 22 °C, l’œuf se divise une première fois 15 min après la fécondation, et la larve éclot 2h30 plus tard. Ces animaux ont une activité frénétique et ne vivent que quelques jours, 8 jours à 15 °C et moins de 2 jours à 29 °C.
Les "maisons" sont colonisées par de nombreux organismes dont des bactéries, des algues unicellulaires (diatomées) et des copépodes de type Oncaea spp. et Scopalatum vorax. Il a été évalué que près de la moitié des "maisons" pouvaient être consommées par jour par les organismes associés car le mucus est formé de matières organiques (protéines et cellulose) et piège des particules également organiques.
Occasionnellement, des larves nauplius*, des polychètes ou des amphipodes peuvent être présents ainsi que des radiolaires ou des foraminifères.
Les Larvacés utilisent leurs cellules oïkoplastiques pour sécréter des filtres complexes, surnommés "maison", qui leur permettent de concentrer les particules dont ils se nourrissent. Une "maison" consiste en une grande structure externe diaphane et d'une structure interne bilobée à multiples circonvolutions. La partie externe exclut les particules trop grosses qui risqueraient de colmater le filtre interne. Ainsi la structure externe semble se couvrir de "neige marine" qui finit par la déformer. Le filtre interne est connecté à la bouche de l'animal. Il est relativement rigide et garde sa forme même après avoir été abandonné par l'individu.
Le genre Bathochordaeus comprend trois espèces actuellement décrites : B. charon (Chun), B. stygius (Garstang) et B. mcnutti sp. Nov.
A la différence des autres tuniciers, les Larvacés conservent leur queue et donc leur chorde au stade adulte (d'où leur nom de Larvacés). Cette persistance de caractères larvaires est appelée néoténie*. Elle n'empêche pas d'atteindre la maturité sexuelle et n'affecte donc pas la reproduction. Les Bathochordaeus ont une croissance très rapide et une vie très courte, de quelques jours seulement. Ils peuvent quitter leur "maison" colmatée jusqu'à 10 fois par jour et en fabriquent une autre en quelques minutes. La prolifération rapide des Larvacés les place parmi les animaux les plus abondants du zooplancton* après les copépodes.
En tant que filtreurs* de particules, les Larvacés affectent à la fois l'environnement pélagique* dans lequel ils évoluent et le fond marin. Les "maisons" filtrantes fonctionnent comme des oasis de zoo- et phyto-plancton*. Les "maisons" abandonnées qui coulent pour rejoindre le fond contribuent jusqu'au tiers du flux vertical de carbone. Les petites particules agglomérées en paquets dans les filtres coulent rapidement et échappent ainsi aux boucles microbiennes de décomposition, amenant des composés organiques comestibles jusqu'à de grandes profondeurs pour le plus grand bénéfice des organismes benthiques profonds.
Compte-tenu de leur fragilité et de leur grande taille, il est très difficile de collecter des individus avec leur maison intacte pour des observations ou des expérimentations en laboratoire. Par exemple, aucun Bathochordaeus n'a été observé en train de fabriquer une "maison" en captivité. L'instrumentation moderne et les robots sous-marins ont permis d'obtenir des données in situ. Ainsi, le volume de filtration moyen d'un individu dont le tronc mesure 1,5 cm est de 43 à 76 litres par heure. Ces performances font de Bathochordaeus des filtreurs supérieurs aux salpes jusqu'à présent considérées comme la référence en la matière.
Il faut noter que les filtres muqueux des appendiculaires accumulent
aussi les microplastiques qui sont amenés vers le fond avec les
"maisons" abandonnées. La quantification de ce phénomène, dépolluant
pour la zone pélagique mais polluant pour la zone benthique*, reste à évaluer.
Appendiculaires géants est une proposition du site DORIS.
Bathochordaeus : du grec [bathos] = profondeur et du latin scientifique [chordatum] = doté d'une chorde
charon : pilote de la barque des Enfers dans la mythologie grecque. Il faisait traverser le Styx contre une obole aux âmes des morts ayant reçu une sépulture.
stygius : relatif à Styx, une Océanide, fille d'Océan et de Téthys. Elle personnifie le Styx, l'un des fleuves et points de passage des Enfers.
mcnutti : en l'honneur de Marcia McNutt, Présidente/Directrice générale (CEO) du MBARI (Monterey Bay Aquarium Research Institute, California, USA) au moment de la découverte de l'espèce.
Numéro d'entrée WoRMS : 103362
Termes scientifiques | Termes en français | Descriptif | |
---|---|---|---|
Embranchement | Chordata | Chordés | Animaux à l’organisation complexe définie par 3 caractères originaux : tube nerveux dorsal, chorde dorsale, et tube digestif ventral. Il existe 3 grands groupes de Chordés : les Tuniciers, les Céphalocordés et les Vertébrés. |
Sous-embranchement | Urochordata / Tunicata | Urochordés / Tuniciers | Chordés marins fixés (ascidies) ou pélagiques (thaliacés), solitaires ou coloniaux. Epaisse tunique cellulosique. Deux siphons, pharynx bien développé, la chorde larvaire régresse chez l'adulte (sauf chez les Appendiculaires). |
Classe | Appendicularia / Larvacea | Appendiculaires / Larvacés | La chorde, qui soutient la partie caudale à l’état larvaire, subsiste chez l’adulte. |
Ordre | Copelata | ||
Famille | Oikopleuridae | Oikopleuridés | |
Sous-famille | Bathochordaeinae | ||
Genre | Bathochordaeus | ||
Espèce | spp. |
Double masse gélatineuse des logettes de Bathochordaeus
La structure jaunâtre lobée, nommée "maison" ou "maisonnette", mesure de 10 à 15 cm de diamètre. Elle présente de belles formes arrondies et son rôle est de servir de filtre alimentaire à la larve de petite taille et rarement visible qui l'a construite.
L'observation a été faite entre 5 et 10 m de profondeur, en pleine eau.
Philippines, Leite
03/03/2020
Double système de filtre
Cocon de 5 cm de diamètre et plutôt près du fond, entre 20 et 25 m de profondeur. L'animal n'est pas visible, seuls ses filtres constitués d'un cocon externe peu visible et d'une structure double et lobée interne (le filet de pêche de l'animal est parfois nommé "maisonnette") sont aperçus sous l'eau en plongée.
Lembeh, Indonésie, 20 m
28/06/2015
Détail de la double masse gélatineuse interne
Cette masse interne lobée et double joue le rôle d'entonnoir pour diriger les aliments vers la bouche de l'animal situé en son centre (non visible ici).
Lembeh, Indonésie, 20 m
28/06/2015
Double filtre, un dense et un diaphane
Le filtre externe capte les plus grosses particules afin qu'elles ne colmatent pas le filtre interne qui conduira les plus petites de ces particules jusqu'à la bouche de l'animal.
Leite, Philippines
03/03/2020
Chute de neige annoncée
Les "maisons" de Bathochordaeus seront abandonnées quand les filtres seront colmatés. Elles tomberont alors vers le fond en entrainant les particules dont se nourriront les espèces benthiques des profondeurs.
Philippines (Visayas), 3 m
21/02/2019
Gros plan d'un appendiculaire dans sa maison
L'appendiculaire, ici Bathochordaeus mcmutti reconnaissable au liseré (bleu) qui entoure sa queue, sécrète un cocon muqueux rigide qui adhère à son tronc. Ce cocon sert à filtrer le nano-plancton pour l'amener à la bouche située au niveau du tronc. Un deuxième cocon externe et diaphane filtre les plus grosses particules. Une fois les filtres colmatés, ils sont abandonnés par l'animal qui en synthétise immédiatement un autre.
Image tirée de la vidéo du MBARI
16/04/2020
Rédacteur principal : Jacques COVES
Vérificateur : Frédéric ANDRÉ
Responsable régional : Frédéric ANDRÉ
Steinberg D.K., Silver M.W, Pilskaln C.H., 1997, Role of the mesopelagic zooplankton in the community metabolism of giant larvacean house detritus in Mentery Bay, California, USA, Mar. Ecol. Prog. ser., 147, 167-179.
Sherlock R.E., Walz K.R., Ribison B.H., 2016, The first definitve record of the giant larvacean, Bathochordaeus charon, since its original description in 1900 and a range extension to the northeast Pacific Ocean, Marine Biodiversity records, 9, 79.
Sherlock R.E., Walz, K.R., Schlining K.L., Robison B.H., 2017, Morphology, ecology, and molecular biology of a new species of giant larvacean in the eastern North Pacific: Bathochordaeus mcnutti sp. nov., Mar. Biol., 164, 20.
Katija K., Sherlock R.E., Sherman A.D., Robison B.H., 2017, New technology reveals the role of giant lavaceans in organic carbon cycling, Sci. Adv., 3, e1602374
Une vidéo du Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI)
Une vidéo extraite de "Chroniques du plancton"