Crevette fouisseuse (de jour) et nageuse (de nuit), mesurant de 2 à 5 cm
Rostre très court ne dépassant pas les yeux
Corps blanc (jour), devient rosé de nuit avec petits points blancs
Première paire de pattes asymétrique, avec pince à droite et griffe à gauche
Dans les zostères (Manche-Atlantique) ou les posidonies (Méditerranée)
Guernade nica, nom français FAO (Holthuis, 1980) appellation désuète
Crevette d'herbier (Noël, 1985) : peut correspondre à d'autres espèces
Nika comestible (désuet)
Nika shrimp, night shrimp, green shrimp, nica shrimp (GB), Saletto, gambero di giglio (I), Camaroncillo, camaròn nica (E), Eine Kurzhorngarnele, italienischer Granatkrebs (D), Camarñão-nica (P)
Nika edulis
Processa pontica (Sowinsky, 1882) selon Nouvel et Holthuis, 1957 (voir § Distribution)
Mer du Nord, Manche, Atlantique, Méditerranée, mer Noire (?)
Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Méditerranée française], ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises]Cette espèce se rencontre dans toutes les mers côtières européennes entre 33° et 55° Nord.
Elle est également présente en mer Noire, si on accepte la synonymie avec Processa pontica (tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur ce point).
Cette crevette habite presque exclusivement les herbiers de phanérogames* marines, entre le bas de l'estran* et une vingtaine de mètres de profondeur (exceptionnellement plus). Elle est très commune dans les zostères sur la façade Manche-Atlantique et dans les posidonies, en Méditerranée. On peut la rencontrer également, mais très occasionnellement, dans les zones mixtes sable-algues, là où les phanérogames manquent (Manche orientale), comme en infralittoral profond (par exemple parmi les algues en épaves roulées, pour la signification de ce terme voir le § Divers biologie).
Elle ne supporte pas les eaux saumâtres, aussi ne se trouve-t-elle pas ou très peu dans les estuaires et les lagunes.
De jour, cette espèce est enfouie dans le sable, se cache sous les blocs ou dans les rhizomes de posidonies. De nuit, elle recherche ses proies à la surface du sable ou dans les feuilles (posidonies et zostères).
Cette crevette est de taille moyenne (mâles de 12 à 34 mm, femelles ovigères de 25 à 52 mm). Son rostre très court ne dépasse pas les yeux, il se termine par une pointe et une dent supérieure.
La première paire de pattes est asymétrique : la droite se termine par une pince et la gauche par une griffe.
La seconde paire de pattes porte une pince de chaque côté, mais ces pattes se caractérisent par des longueurs inégales. Les autres paires sont symétriques et sans pinces.
La couleur est blanche le jour et rosée à rouge la nuit. Une observation attentive permet de voir de très petites taches blanches assez bien réparties sur le corps de l'animal, en particulier chez les grands individus et les femelles ovigères : ce sont les chromatophores*.
Une dizaine d'autres espèces de Processa existent en Europe. En mer du Nord, Manche, Atlantique, c'est de loin l'espèce la plus régulièrement observée à la côte. En Méditerranée, quatre autres espèces se rencontrent dans les posidonies et les zones sableuses adjacentes :
- Processa robusta présente une pigmentation blanche très importante sur le dessus de la queue et ses yeux sont relativement très petits.
- Processa acutirostris n'a presque pas de chromatophores blancs, à l'exclusion de quelques uns sur la ligne médio-dorsale ; son rostre est pointu (sans dent accessoire dorsale).
- Processa macrophthalma possède des yeux relativement gros par rapport à Processa edulis ; elle est moins commune et se rencontre plutôt sur sables graveleux.
- Processa modica est très petite, ponds des œufs vert-bleutés et se rencontre dans les sables fins à très faible profondeur.
D'autres espèces vivent plus profondément ou en milieu vaseux mais ne sont que rarement observables par les plongeurs.
Il est à noter que plusieurs sous-espèces ont été décrites selon leur habitat :
- Processa edulis arcassonensis Nouvel & Holthuis, 1957,
- Processa edulis edulis Risso, 1816 en Méditerranée,
- Processa edulis crassipes Nouvel & Holthuis, 1957 en mer du Nord, Manche et Nord-Gascogne.
Processa edulis recherche activement la nuit les petites proies qu'elle consomme : “vers" (petits annélides, nématodes), crustacés (amphipodes, isopodes, ostracodes, larves de décapodes arrivant sur le fond à la métamorphose...), œufs, foraminifères, mollusques et, parfois, des éléments végétaux (algues, phanérogames, diatomées...).
Pour dilacérer ses proies, elle se sert de ses pattes avant dissymétriques un peu comme d'un couteau et d'une fourchette.
Il a été suggéré que cette espèce puisse présenter un hermaphrodisme protandre*, c'est-à-dire que la première partie de la vie est mâle (première année), puis intervient un changement de sexe et l'animal devient alors femelle l'année suivante.
La saison de reproduction commence en mars-avril et se termine en septembre-octobre. Au printemps et sur plusieurs intermues, la femelle commence sa première vitellogenèse*, c'est-à-dire l'accumulation de réserves nutritives (vitellus *) dans les ovocytes. A ce moment, l'ovaire est très visible dans le céphalothorax sous forme d'un organe massif de couleur verte. A la tombée de la nuit, la femelle mue et s'accouple quand sa carapace est encore molle. Pendant plusieurs minutes, le mâle “cherche" la femelle en tournant autour. En trois à cinq secondes, il se positionne en croix sur la face inférieure de sa femelle, éjacule et se sépare de sa partenaire. Le sperme est déposé dans un réceptacle séminal externe, un repli formant une sorte de poche de kangourou ventrale.
La femelle pond dans les minutes qui suivent plusieurs centaines d'œufs qui sont attachés par des filaments gluants sur les pléopodes (pattes abdominales). Les pontes fraîches sont vertes, puis elles virent progressivement au gris ; elles sont ainsi incubées pendant trois à quatre semaines (selon la température de l'eau), puis les larves sont libérées. Pendant l'incubation, une nouvelle vitellogenèse a lieu si bien que la femelle mue et pond à nouveau après l'éclosion des larves. Il peut y avoir ainsi d'avril à octobre cinq à six pontes successives.
Le développement larvaire planctonique dure trois à quatre semaines (selon la température). Les larves sont communes dans le plancton de mai à novembre. Après la métamorphose, les juvéniles gagnent les herbiers benthiques où ils poursuivent leur croissance.
La longévité maximale de l'espèce est de l'ordre de 3 ans.
Processa edulis est parasitée par deux isopodes épicarides, le bopyre branchial Urobopyrus processae et le bopyre abdominal Pliophryxus philonika.
Sur les branchies, on peut voir des petits points noirs qui sont des ciliés du genre Synophrya (animaux unicellulaires). Enfin il arrive que l'intérieur de l'animal présente un aspect blanc laiteux, en particulier les zones musculaires ; il s'agit là de l'indice de présence d'un sporozoaire (champignon unicellulaire) du genre Thelohania, agent de la thélohaniose ou maladie dite “de la porcelaine" surtout connue pour ses dégâts chez les écrevisses.
L'espèce est très commune ; c'est sans doute la Processa la plus ordinaire jusqu'à une quinzaine de mètres de profondeur mais on ne peut la voir que la nuit car elle est enfouie dans le sédiment pendant la journée.
Ses principaux prédateurs sont les céphalopodes (seiches, sépioles...), les poissons de fond (poissons plats), les gros crustacés (crabes nageurs, squilles).
L'espèce est sédentaire ; son activité se ralentit et sa croissance s'arrête en hiver, lorsque la température est très basse.
Algues en épaves roulées : arrachées par les tempêtes, broutées par les Gastropodes ou pour d'autres raisons, des algues se détachent du substrat et sont emportées au loin. Les unes flottent et vont s'échouer en donnant les "laisses de mer", d'autres coulent et se rassemblent dans des creux à quelques dizaines de mètres de profondeur, en fonction des courants de marée. Ces algues "roulées" par les mouvements de l'eau forment de grands amas mouvants en ripple-marks.
En Méditerranée, cette espèce était autrefois pêchée de nuit au gangui* (sorte de chalut) et vendue sur les marchés ; ce mode de capture est maintenant interdit en France en raison de l'impact trop important et trop peu sélectif.
L'espèce n'est toutefois pas menacée en tant que telle, mais la densité des populations peut faiblir suite à des pollutions anthropiques ou à la régression de son habitat. Lors de la marée noire de l'Amoco Cadiz, par exemple, Processa edulis a été très affectée par le pétrole imprégnant le sable. Plus récemment, la dispersion de certaines espèces envahissantes comme Caulerpa taxifolia conduit à la régression des posidonies et par voie de conséquence à celle des espèces associées à ce milieu.
Fiche MNHN/DORIS.
« Crevette-autruche » (proposition P. Noël) se réfère à la particularité d'enfouissement des espèces du genre Processa ; ces dernières entrent dans le sable la tête en premier, en creusant à l'aide des derniers maxillipèdes* et des pattes avant.
Comestible... parce que l'espèce était suffisamment abondante ces siècles derniers en Provence pour y être consommée.
Processa (latin) = qui avance, qui se porte en avant ; peut-être à cause de sa propension à s'enfouir par l'avant,
edulis : du latin [edulis] = comestible.
Numéro d'entrée WoRMS : 107683
Termes scientifiques | Termes en français | Descriptif | |
---|---|---|---|
Embranchement | Arthropoda | Arthropodes | Animaux invertébrés au corps segmenté, articulé, pourvu d’appendices articulés, et couvert d’une cuticule rigide constituant leur exosquelette. |
Sous-embranchement | Crustacea | Crustacés | Arthropodes à exosquelette chitineux, souvent imprégné de carbonate de calcium, ayant deux paires d'antennes. |
Classe | Malacostraca | Malacostracés | 8 segments thoraciques, 6 segments abdominaux. Appendices présents sur le thorax et l’abdomen. |
Sous-classe | Eumalacostraca | Eumalacostracés | Présence d’une carapace recouvrant la tête et tout ou partie du thorax. |
Super ordre | Eucarida | Eucarides | Présence d'un rostre. |
Ordre | Decapoda | Décapodes | La plupart marins et benthiques. Yeux composés pédonculés. Les segments thoraciques sont fusionnés avec la tête pour former le céphalothorax. La première paire de péréiopodes est transformée en pinces. Cinq paires d'appendices locomoteurs (pinces comprises). |
Sous-ordre | Caridea | Caridés | Les Caridés sont caractérisés par des pléopodes natatoires. C'est à ce groupe qu'appartiennent une grande partie des espèces de crevettes. |
Famille | Processidae | Processidés | Rostre court ; première paire de pattes avec pince d’un côté et griffe de l’autre. |
Genre | Processa | ||
Espèce | edulis |
Livrée nocturne
Femelle de Processa edulis crassipes, dans sa livrée nocturne tout à fait typique
Trégastel (22), 4 m, de nuit
21/05/2009
Sous-espèce arcachonnaise
Trois sous-espèces ont été décrites chez Processa edulis. L'une d'elles est typique d'Arcachon et de sa région ; elle s'appelle Processa edulis arcassonensis Nouvel & Holthuis, 1957.
Cette photo a été prise de nuit, d'où la couleur rose ou rouge du spécimen.
Bassin d'Arcachon (33), 3 m (de nuit)
01/10/1997
Début d'enfouissement
Cette crevette, à l'approche du photographe, est en train de fouiller le sédiment avec ses dernières pattes-mâchoires et ses premières pattes. Il s'agit sans doute d'un gros mâle car on ne voit pas de trace d'ovaire par transparence. Le point sombre dans le céphalothorax en arrière des yeux est l'estomac, encore très peu rempli car on est en début de nuit, horaire favorable aux plongeurs...
Saint-Yves, Bassin d'Arcachon (33), 8 m, de nuit
11/06/2008
Enfouissement
La même quelques secondes plus tard. La crevette a basculé ses yeux en avant et elle plonge la tête dans le sable. Bientôt elle aura totalement disparu sous le sédiment.
Saint-Yves, Bassin d'Arcachon (33), 8 m, de nuit
11/06/2008
Femelle parasitée
Cette crevette, probablement une femelle vu sa taille (30 - 35 mm), est parasitée sur le côté gauche du céphalothorax par un crustacé isopode épicaride, le bopyre branchial Urobopyrus processae Richardson, 1901. Le parasite prélève des substances nutritives dans le sang de la crevette et cette dernière est momentanément incapable de faire une vitellogenèse normale : bien qu'on soit en période de reproduction on ne voit pas d'ovaire par transparence.
Saint-Yves, Bassin d'Arcachon (33), 8 m, de nuit
11/06/2008
Le parasite et ses oeufs
La couleur orangée de la "bosse branchiale" correspond aux œufs du parasite femelle ; le mâle qui accompagne toujours la femelle est beaucoup plus petit et a normalement la forme d'un mini-cloporte sombre.
Saint-Yves, Bassin d'Arcachon (33), 8 m, de nuit
11/06/2008
Femelle malade
La pigmentation rouge de cette femelle est caractéristique de la coloration nocturne des crevettes autruches littorales. Elle est d'autant plus visible que les muscles de l'animal sont d'un blanc laiteux. Ceci est dû à une infection par une Microsporidie (organisme unicellulaire du groupe des sporozoaires), Thelohania ceccaldii Vivarès, 1975. Ce parasite est assez peu fréquent chez les Processa (prévalence de l'ordre de un pour mille).
Comparer avec les commentaires et les photos d'autres crevettes infestées par des Microsporidies : Palaemon serratus.
Trégastel (22), 5 m, de nuit
08/2008
Mâle et femelle
Mâle en coloration diurne (en bas) et femelle en coloration nocturne (en haut) montrant une répartition assez uniforme des chromatophores blancs. Animal photographié de retour au laboratoire (d’après diapositive).
Herbier de posidonies du Racou (66), environ 7 m, de nuit
N/A
Femelle en vitellogenèse
L’ovaire est visible par transparence au centre du céphalothorax, ainsi que la pince qui termine la première patte. Animal photographié de retour au laboratoire (d’après diapositive).
Herbier de posidonies du Racou (66), environ 7 m, de nuit
N/A
Premier stade larvaire
Cette petite larve a été photographiée peu après l’éclosion, au microscope. (Larve issue des œufs embryonnés d’une femelle ovigère).
Banyuls (en laboratoire)
01/07/1972
Rédacteur principal : Pierre NOËL
Vérificateur : Vincent MARAN
Responsable régional : Anne PROUZET
Noël P., 1972, Livrée chromatique et rythme nycthéméral chez Processa edulis Risso (Crustacé, Décapode), Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, 274D, 1353-1356.
Noël P., 1973, Cycle biologique et inversion sexuelle du Crustacé Décapode Natantia Processa edulis, Cah. Biol. Mar., 14, 217-227.
Noël P., 1979, CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA FONCTION CHROMATIQUE DE PROCESSA EDULIS (CRUSTACE NATANTIA), Thèse de doctorat ès Sciences naturelles, Université Pierre et Marie Curie, Paris, 273p.
Noël P.Y., 1981, Conséquences de la marée noire de l' "Amoco Cadiz" sur les populations de Processa edulis (Crustacea, Caridea), Cahiers de Biologie marine, 22, 133-139.
Noël P.Y., 1982, Comparative study of carotenoids from two parasitic Isopoda, Urobopyrus processae and Pliophryxus philonika whith those from their host, Processa edulis (Crustacea, Caridea), Comparative Biochemistry and Physiology, 72B, 651-657.
Noël P.Y., 1985, L'homochromie et l'homotypie chez les Crustacés, Bull. Soc. entomol. France, vol. spéc. 150ème anniversaire de la sociéte entomologique de France, 90, 1004-1015.
La page de Processa edulis dans l'Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN