Crabe de couleur rouge vif
Carapace fortement bosselée
Rostre assez court en forme de T
Pattes courtes couvertes de tubercules
Araignée noueuse, araignée goutteuse, araignée de mer rouge, crabe tête d'Homme
Warty spider crab, entirely red crab, arrow spider crab, decorator crab (GB), Granchio rosso, granchietto tutto rosso (I), Falso centollo, falsa centolla, cámbara roja, cangrejos lágrima (E), Rote Gespensterkrabbe (D), Pók rák (Balkans), Round-jointed spider crab (Malte)
Pisa chiragra Latreille 1825
Méditerranée + Atlantique portugais
Zones DORIS : ● Europe (côtes françaises), ○ [Méditerranée française]Malgré deux signalements au Portugal, la lissa goutteuse peut être considérée comme une espèce endémique* stricte de Méditerranée. Elle y a été observée sur les côtes de différents pays : Espagne (y compris les Baléares et Melilla), France, Italie, Grèce, Chypre... Elle est sans doute présente partout où il y a du coralligène*, ou des herbiers denses de posidonies.
La lissa goutteuse est une espèce typique du coralligène*. Elle est également présente dans les posidonies (rhizomes et feuilles) et a été signalée sur des fonds détritiques et sur des fonds vaseux. Cette araignée de mer est habituellement observée de quelques mètres de profondeur à une cinquantaine de mètres ; elle a été trouvée jusqu'à 90 m.
La lissa goutteuse est une petite araignée de mer de taille modeste (environ 4 cm de longueur) et typiquement de couleur rouge vif.
La carapace porte des bosses séparées par des sillons. Il y a parfois une tache blanche sur la région médiane et arrière de la carapace. L'ensemble des taches et des reliefs de la carapace peut faire penser à un « masque » souriant ou grimaçant (cf. photos).
Les pinces et les pattes portent également de nombreux tubercules ; la couleur des pattes est uniforme (pas annelée), avec parfois de minuscules taches blanches.
Le rostre* est court et en forme de T, avec une extrémité parfois blanche ou rose violacée.
Les mâles adultes ont la pince comprimée latéralement, les doigts sont courts et laissent un espace entre eux lorsque la pince est fermée. Les jeunes mâles et les femelles ont les pinces plus petites et plus fines que les mâles adultes.
Quelques poils en crochet, servant à accrocher des algues ou autres organismes, se rencontrent sur le corps de l'animal, principalement sur la moitié avant ; des poils en massue sont présents, mais plutôt à l'arrière de l'animal et du côté ventral. Des épibiontes* peuvent compléter ce dispositif de camouflage, mais à la différence d'autres crabes dits "décorateurs", la lissa goutteuse n'est pas toujours ou pas spécialement adepte de la récupération et du recyclage de tout ce qui l'entoure.
Des spécimens roses ont été signalés (mais pas photographiés) ; il pourrait s'agir de spécimens venant juste de muer et n'étant pas encore calcifiés, ou plus probablement d'une confusion avec des spécimens de Pisa nodipes.
Caractères anatomiques utilisés en systématique :
La carapace* des plus gros individus atteint 36 mm de largeur pour 46 mm de longueur. Les femelles peuvent être matures (ovigères*) à partir de 32 mm de longueur de carapace.
Les segments abdominaux 3 à 6 sont soudés.
Parmi les bosses de la carapace, observer celle qui est située tout à l'arrière et au milieu du dos : chez cette espèce elle est divisée en 2 boules accolées. Elle est appelée « épine intestinale » par les scientifiques.
Le rostre en T est formé de deux lames plates et jointives, tronquées à l'extrémité et se prolongeant de chaque côté à angle droit.
Lissa chiragra est la seule espèce du genre Lissa ; il est difficile de la confondre avec d'autres espèces au vu de ses caractéristiques si particulières de coloration et de forme. Dans les petites araignées de mer, le genre Pisa est un genre assez voisin qui comporte plusieurs espèces méditerranéennes ; en particulier Pisa nodipes peut présenter certaines ressemblances, ce qui a déjà conduit à des erreurs d'identification (sur le net). Pisa nodipes est généralement de couleur brune, mais des spécimens brun-rouge voire rouges (essentiellement des jeunes) sont connus ; les pattes peuvent présenter des annulations de couleur claire. Cette espèce n'a pas un rostre en T, mais deux épines rostrales longues et pointues, légèrement divergentes à l'extrémité. La dernière bosse de la carapace (l'épine intestinale) n'est pas divisée en deux bosses accolées, mais elle est large, tronquée et arrondie.
On sait peu de choses sur son alimentation. Elle consomme probablement de petits organismes fixés.
Sur les côtes d'Espagne on trouve des femelles ovigères* de mai à août. Le diamètre des œufs est de 0,54 mm. Comme chez tous les Majidés, le développement larvaire est condensé, avec seulement deux stades zoé* et une mégalope* précédant le premier stade juvénile.
La morphologie des larves est très voisine de celle des espèces du genre Pisa.
Pour se camoufler, l'espèce se recouvre souvent de divers organismes prélevés dans son milieu comme les algues du genre Peyssonnelia, Halimeda tuna, Flabellia petiolata, des éponges Axinella spp., des serpulidés.
Le nom de "crabe tête d'Homme" semble utilisé par certains plongeurs de la côte d'Azur pour désigner Lissa chiragra ; ce nom n'a pas été retrouvé dans des documents graphiques ou sur le web.
En relation avec cette appellation, il convient de signaler que l'Homme a vu depuis très longtemps des visages sur le dos des crabes ! Par exemple, dans l'antiquité des pièces de monnaie (tétradrachmes) ont circulé avec une face représentant un crabe en vue dorsale et dont le corps présente l'aspect d'une tête humaine. Les crabes sur ces monnaies méditerranéennes ressemblent à des Carcinus ou à des Potamon, et sont donc d'allure assez différente de celle de la lissa goutteuse.
Ils sont différents également des crabes dits « à face humaine » appartenant à la famille des dorippidés dont le crabe laineux Medorippe lanata est le représentant en Méditerranée. Cette dernière espèce est très voisine des fameux "crabes des samouraïs" Heikea (Heikeopsis) japonica + H. arachnoides en Asie, dont la carapace évoque assez bien le visage d'un guerrier grimaçant.
Un autre crabe des côtes françaises métropolitaines, le Corystes cassivelaunus, est appelé "crabe masqué" en raison, dit-on, des traits d'un visage humain que l'on peut deviner sur la carapace.
"Lissa goutteuse" est une proposition du site DORIS.
Lissa est repris du nom de genre latin, goutteuse : à cause de la forme bosselée de la carapace et des tubercules des pattes (cf. nom latin d'espèce).
Lissa = lisse, encore que ce qualificatif s'applique difficilement à une carapace aussi déformée !
chiragra : de chiragre, vieux français, mot formé sur le modèle de podagre par remplacement du préfixe grec [pod-] (= pied) par [chir-] ( = main). Podagre signifie "qui souffre de goutte aux pieds" (cristaux d'urée dans les articulations, suite à des excès de table !), chiragre = la même chose dans les articulations des mains.
Ce nom lui a été donné en référence à la maladie de la goutte, caractérisée chez l'homme par des nodules au niveau des articulations des membres, en particulier des mains et des pieds. L'araignée avec ses pattes bosselées ressemble à la main déformée d'un malade atteint de la goutte.
Numéro d'entrée WoRMS : 107336
Termes scientifiques | Termes en français | Descriptif | |
---|---|---|---|
Embranchement | Arthropoda | Arthropodes | Animaux invertébrés au corps segmenté, articulé, pourvu d’appendices articulés, et couvert d’une cuticule rigide constituant leur exosquelette. |
Sous-embranchement | Crustacea | Crustacés | Arthropodes à exosquelette chitineux, souvent imprégné de carbonate de calcium, ayant deux paires d'antennes. |
Classe | Malacostraca | Malacostracés | 8 segments thoraciques, 6 segments abdominaux. Appendices présents sur le thorax et l’abdomen. |
Sous-classe | Eumalacostraca | Eumalacostracés | Présence d’une carapace recouvrant la tête et tout ou partie du thorax. |
Super ordre | Eucarida | Eucarides | Présence d'un rostre. |
Ordre | Decapoda | Décapodes | La plupart marins et benthiques. Yeux composés pédonculés. Les segments thoraciques sont fusionnés avec la tête pour former le céphalothorax. La première paire de péréiopodes est transformée en pinces. Cinq paires d'appendices locomoteurs (pinces comprises). |
Sous-ordre | Brachyura | Brachyoures | Les brachyoures ont un abdomen réduit replié sous le céphalothorax. Ils sont représentés par les crabes et les araignées de mer. |
Famille | Epialtidae | Epialtidés | Orbites faiblement développées. Carapace triangulaire épineuse ; pattes relativement courtes. Se déguisent souvent à l’aide d’algues fixées sur leur carapace. |
Genre | Lissa | ||
Espèce | chiragra |
Aspect général
Un aspect bien curieux pour une araignée de mer ! La carapace présente des protubérances très marquées, à l’aspect de bosses. Les pattes ont également des "verrues" leur donnant un aspect noueux. En avant-plan, on devine la partie terminale du rostre constitué de deux lames plates contigües, avec une extrémité en "T" et de couleur violacée. Il faut bien observer pour voir les deux yeux !
Cap d’Antibes (06), 20 m, de nuit
30/07/2008
La carapace
Une vue dorsale postérieure révèle une carapace tourmentée, avec des bosses symétriques. Une zone blanche surmonte la dernière bosse médiodorsale qui forme deux boules accolées. Les pattes sont courtes et trapues.
Cap d’Antibes (06), 10 m, de nuit
03/07/2006
Vue dorsale
La lissa goutteuse est ici dans toute sa splendeur, à la fois très visible et quand même dissimulée dans son habitat. Essayez de repérer l’extrémité du rostre rose-violacé dans les algues grises, tentez de compter les bosses de la carapace, appréciez les nodosités des pattes, repérez les zones blanches sur le fond rouge de la carapace.
Et ne voyez-vous pas un visage dessiné sur le dos ?
Cap Gros, Antibes (06), 22 m, de nuit
22/07/2008
Vue par un artiste-naturaliste (Ernst Haeckel)
Cette planche est extraite de l'ouvrage suivant : Haeckel E., 1904, Kunstformen der Natur, Decapoda, planche 86.
Lissa chiragra est tout à fait en bas à droite. La précision de ce merveilleux dessin permet de bien voir les nodosités des pattes et les protubérances de la carapace (dont l'épine intestinale en double boule, tout à l'arrière).
Illustration tirée d’une planche de dessins représentant divers crustacés décapodes
Reproduction de documents anciens
1904
Vue latérale
Qui reconnaîtrait un crabe devant une pareille apparition ?
Remarquer les poils "en crochet" sur le dessus de la tête et les poils "en massue" à la base des pattes.
Cap d'Antibes (06), 20 m, de nuit
30/07/2008
Détail arrière
Une vue latérale arrière permet d’apprécier le contour des bosses de la carapace, bosses presque sphériques. Remarquer la dernière bosse médiane en forme de "double boule", caractéristique de l'espèce.
A noter également la présence de paquets jaunâtres de soies en massue près de l’insertion des pattes. Celles-ci sont très noueuses et terminées par une griffe très puissante.
Antibes (06), 12 m, de nuit
07/2003
La lissa goutteuse dans son habitat
Dans un environnement présentant une profusion de couleurs, on remarque à peine l’existence de la lissa goutteuse. Noter la présence de quelques espèces caractéristiques du coralligène.
La couleur rouge vif qui paraît ici si visible, n'est apparente que grâce à la lumière utilisée pour la prise de vue. En effet, rappelons-nous que le rouge est la première couleur à "disparaître" sous l'eau ; en lumière naturelle le crabe apparaîtrait d'une couleur plutôt grise, et les contours chaotiques de la carapace se fondraient dans les reliefs du substrat.
Cap d’Antibes (06), 10 m, de nuit
18/06/2007
Crabe décoré
Comme beaucoup d’araignées de mer, la lissa goutteuse a la faculté de fixer sur son dos des éléments divers empruntés à son milieu de vie, grâce à la présence de soies en crochet sur le dessus de sa carapace.
Ici, la rencontre autrefois improbable d’une espèce méditerranéenne et d’une algue quelque peu envahissante, la caulerpe raisin (Caulerpa cylindracea).
Cuisse, Villefranche-sur-mer (06), 23 m, de nuit
24/07/2008
Un crabe transporteur
Cramponnée à un Codium, et transportant des fragments d'éponges jaune vif, cette lissa goutteuse est adepte d’un mimétisme utilisant des colorations aposématiques* (couleurs d'avertissement).
Le Graillon, Antibes (06), 11 m, de nuit
02/09/2008
Algue rouge sur crabe vermillon
Il semblerait que chaque lissa goutteuse choisisse préférentiellement un type d’organisme pour se déguiser. Cet individu-ci collectionne les Peyssonnelia.
Cap d'Antibes, 15 m, de nuit
20/03/2008
Une drôle de trogne
Un des noms utilisés par des plongeurs pour la lissa goutteuse est "crabe tête d’homme". Ce vocable trouve ici toute sa justification. Cette trogne hilare évoque le visage d’un Homo (pas très) sapiens ayant abusé pendant bien trop longtemps d’une "boisson d’homme" !
Niolon (13), de nuit
01/10/1997
Rédacteur principal : Pierre NOËL
Vérificateur : Sylvain LE BRIS
Responsable régional : Anne PROUZET
Bohn, G., 1901, DES MÉCANISMES RESPIRATOIRES CHEZ LES CRUSTACÉS DÉCAPODES ; ESSAI DE PHYSIOLOGIE ÉVOLUTIVE, ETHNOLOGIQUE ET PHYLOGÉNIQUE, ed. Londres, Paris, Berlin, Dulau, Laboratoires des êtres organisés - Friedländer, 374p.
Desmarest A-G., 1825, CONSIDERATIONS GENERALES SUR LA CLASSE DES CRUSTACES ET DESCRIPTION DES ESPECES DE CES ANIMAUX QUI VIVENT DANS LA MER, SUR LES COTES, OU DANS LES EAUX DOUCES DE LA FRANCE, ed. F.G. Levraut, 446p.
Guerao G., Rufino M., Abello P., 2003, Morphology of the larval and first juvenile stages of the spider crab Lissa chiragra (Brachyura: Majidae: Pisinae), Journal of Natural history, 37, 647-671.
Stevcic Z., 1990, Check-list of the Adriatic Decapod Crustacea, Acta Adriatica, 31, 183-274.
La page de Lissa chiragra dans l'Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN