Crevette caméléon

Praunus flexuosus | (Müller 1776)

N° 3857

Europe et Amérique du Nord

Clé d'identification

Crustacé plus ou moins transparent à l'allure générale d’une petite crevette
Nage souvent sur place à la verticale en eau peu profonde
Double courbure de l'abdomen (en « S »)
Présence d’une poche marsupiale chez les femelles
Appendices développés sur la tête et longues antennes souvent tenues à la perpendiculaire du corps

Noms

Autres noms communs français

Mysis (en fait, c’était auparavant le nom du genre), crevette caméléon de la mer du Nord

Noms communs internationaux

Chameleon shrimp, bent mysid shrimp (GB), Gebogene Schwebegarnele, Große Schwebegarnele (D), Aasgarnalen, geknikte aasgarnaal, bochtige aasgarnaal (NL)

Synonymes du nom scientifique actuel

Mysis flexuosa Müller, 1776
Cancer flexuosus
Müller, 1788
Macromysis flexuosa (Müller, 1788)
Mysis spinulosus Leach, 1813
Mysis chamaeleon J.V. Thompson, 1828
Mysis leachii Thompson, 1828
Mysis spinulosa Krøyer, 1837
Themisto brevispinosa Goodsir, 1842
Synmysis benedeni Czerniavsky, 1882

Distribution géographique

Europe et Amérique du Nord

Zones DORIS : ● Atlantique Nord-Ouest, ● Europe (côtes françaises), ○ [Atlantique Nord-Est, Manche et mer du Nord françaises]

En Europe, son aire de distribution s'étend de l'archipel du Spitzberg au golfe de Gascogne, et comprend la mer Baltique ainsi que les côtes britanniques. L'espèce aurait été introduite en Islande ainsi qu'en Amérique du Nord (golfe et estuaire du Saint-Laurent, côte atlantique de l'extrême sud canadien et des États-Unis) depuis la seconde moitié du 20e siècle.
Elle a été signalée en Méditerranée et en mer Rouge, mais ces observations sont très douteuses.

Biotope

La crevette caméléon vit dans les eaux peu profondes et tranquilles sur fond sableux dans les laminaires, les Fucus (F. vesiculosus en particulier) et dans les zostères. Tolérant les eaux saumâtres* et les variations de la salinité, elle se trouve surtout dans les estuaires et les cuvettes à marée basse.

On l'observe couramment en compagnie d'autres mysidacés, nageant sur place en position plus ou moins verticale dans le courant et à proximité d'algues ou de cavités dans lesquelles elle cherche un abri pour se protéger en présence de prédateurs.

Description

C'est un petit crustacé à l'allure de crevette, mince, plus ou moins transparent, mesurant jusqu'à 26 mm de long de la pointe du telson* à celle du rostre*.
La couleur est variable et va d’un vert presque transparent à un gris anthracite presque noir.

Les pédoncules de la première paire d'antennes (= antennules*) sont longs et étroits et se prolongent par une épine.
Les antennes de la seconde paire portent un exopodite* plat, l'écaille antennaire. Les soies terminales des écailles antennaires et des uropodes* sont incolores.
Les flagelles* des antennes, très longs, sont souvent tenus à la perpendiculaire du corps.
Les yeux pédonculés sont relativement grands. La carapace se termine par un rostre arrondi.

L'abdomen long et étroit présente une double torsion en « S ». Une poche marsupiale thoracique ventrale (marsupium*) existe chez les femelles en reproduction.

L'éventail caudal (= les uropodes*) est large et porte deux statocystes* (organes de l'équilibre) à sa base. Le telson porte 22 à 28 épines et se termine par une courte encoche en V, formant deux pointes triangulaires.

Le corps présente des chromatophores* (des cellules pigmentées et réfléchissantes qui peuvent se déformer, sous stimuli lumineux ou hormonaux) : une paire sur chaque segment du thorax, généralement plus de 4 sur le telson et chacun des exo-uropodes (les appendices extérieurs de la queue), ainsi que 3 ou 4 sur chacun des endo-uropodes (les appendices caudaux situés entre le telson et les exo-uropodes).

Espèces ressemblantes

Il existe une bonne centaine d'espèces de Mysidés en Europe (et environ 82 en France). Une détermination jusqu'à l'espèce en plongée est souvent impossible car elle demande l'observation de détails tels que la forme et les épines de l'écaille antennaire et du telson* ou le nombre de segments. La taille, la forme générale ainsi que le comportement peuvent cependant donner des indications.

Praunus inermis (Rathke, 1843) :
Espèce commune. Le telson porte une large encoche en "V".
Souvent trouvée sur la laitue de mer (Ulva sp.). Présente dans l’océan Arctique, l’océan Atlantique (la Bretagne étant la limite sud), la mer Blanche, la mer du Nord.

Praunus neglectus (G.O. Sars, 1869) :
Espèce commune, plus petite (jusqu'à 21 mm) et vivant en eau plus profonde que P. flexuosus à qui elle ressemble beaucoup et avec qui elle partage la même aire de distribution.
Cette espèce ne porte que 3 paires de chromatophores* sur la surface ventrale du thorax, et 4 sur le telson et chacun des exo-uropodes* (les appendices extérieurs de la queue). Présente du cercle polaire arctique aux côtes nord de l’Espagne.

Neomysis integer (Leach, 1814) :
Espèce commune, plus petite (jusqu'à 17 mm), généralement en eau peu profonde. Présente dans l’océan Arctique, l’océan Atlantique, la Méditerranée, la mer Caspienne, la mer Noire, la mer Blanche, la mer du Nord.
On la rencontre dans les estuaires ou les mares salées en bordure de côte aussi bien qu’en pleine eau. Les antennes de la première paire se ramifient en plusieurs longs appendices. Le telson triangulaire est pointu et denté. Par rapport à P. flexuosus l'espèce serait plus encline à former des essaims, à se trouver en eau libre et à se nourrir sur le sédiment.

Neomysis americana (S.I. Smith, 1873)
Espèce de l'océan Atlantique américain (potentiellement présente à Saint-Pierre et Miquelon) nouvellement introduite en Europe. Elle se rencontre en Mer du Nord et en Manche, surtout en estuaire dans les eaux saumâtres.

Siriella armata (Milne-Edwards, 1837) :
Espèce commune mesurant jusqu'à 22 mm, rencontrée près du fond jusqu'à 20 m de profondeur. Présente dans l’océan Atlantique, la Méditerranée, la mer Caspienne, la mer Noire, la mer Blanche, la mer du Nord.
Les antennes sont longues et de même longueur. Les pédoncules des yeux sont longs et minces. Le rostre, long et pointu dépasse les yeux.
Le telson est long et étroit, et se termine par 4 ou 5 petites dents entre 2 dents plus grandes.

Siriella clausii G.O. Sars, 1877 :
Espèce commune, mesurant jusqu'à 11 mm et rencontrée en eaux peu profondes. Distribution : l'océan Atlantique, la Méditerranée, la mer Caspienne, la mer Noire, la mer Blanche, la mer du Nord.
Les antennes sont longues et de même longueur. Le rostre est plus large et plus court que celui de S. armata et son extrémité est arrondie. Les pédoncules des yeux sont larges et courts. Le telson se termine par 3 petites dents situées entre deux dents plus grandes.
Il existe deux espèces ressemblantes, S. jaltensis qui vit généralement en eaux plus profondes et S. norvegica que l'on trouve généralement au large des côtes.

Hemimysis lamornae (Couch, 1856) :
Espèce commune de petite taille (jusqu'à 13mm) qu'on rencontre depuis le littoral jusqu'à une profondeur d'une centaine de mètres.
Présente dans l’océan Arctique, l’océan Atlantique, la Méditerranée, la mer Caspienne, la mer Noire, la mer Blanche, la mer du Nord.
Les individus s'abritent généralement le jour dans des trous ou sous le couvert de la végétation où ils nagent activement en essaims. Ils apparaissent le plus souvent tachés d'un rouge brillant. Les antennes sont assez courtes et ne se terminent pas en pointe. Le telson se termine par une encoche évasée et porte des dents latérales. Les yeux sont grands et portés par des pédoncules courts beaucoup moins larges que les yeux.

Hemimysis anomala G.O. Sars, 1907 (petite crevette rouge sang d’eau douce) :
Espèce commune de petite taille rencontrée en eau douce et saumâtre en essaims dans des cavités ou sous des surplombs le jour.
Elle est originaire de la région ponto-caspienne et se répand en descendant dans l’Europe jusqu'en mer Baltique et en France où on la trouve un peu partout maintenant.
Elle est également signalée (introduite) dans les grand lacs d’Amérique du nord.

Mysis gaspensis O. Tattersall, 1954 (Mysis de Gaspésie) :
Elle mesure 30 mm et se distingue par la présence de 4 épines sur la face interne de l’endopode* de l’uropode.
Elle est présente dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, notamment en Gaspésie.

Alimentation

Les mysidés sont omnivores. Une étude basée sur le contenu stomacal met en évidence un régime alimentaire varié, comprenant des proies prélevées dans le zooplancton* (cladocères, copépodes, nauplies, rotifères...), le phytoplancton* (des diatomées, des dinoflagellés, des algues filamenteuses...) mais aussi des petits animaux (vers, larves...) ou des matériaux organiques ou minéraux divers (pollens, matériaux d'origine animale, grains de sable...).

Ce régime varie suivant les saisons et les espèces, probablement en fonction de la disponibilité des ressources, ainsi que de la taille des individus, des différences comportementales des espèces, voire des conditions locales de mer, lumière, ... qui facilitent ou compliquent le repérage et la capture de telle ou telle proie. Il a également été montré lors d'expériences en laboratoire que lorsque différentes espèces de mysidés sont en présence les unes des autres, elles modifient leur alimentation et réduisent la concurrence qu'elles se portent entre elles.

La nourriture peut être prélevée directement sur le sédiment ou capturée en pleine eau. Le courant d'eau créé par la nage sur place entraîne des petites proies et des particules alimentaires et l'eau est filtrée par les soies des antennes, des pièces buccales et des pattes. Des proies plus grosses (copépodes par exemple) sont détectées et attaquées individuellement.

Reproduction - Multiplication

Les sexes sont séparés. Les œufs (quelques dizaines, jusqu'à 72) sont déposés par la femelle dans un marsupium* constitué par l'extension de deux ou 3 paires de plaques thoraciques. Une femelle qui vient de pondre ou qui est prête à le faire est reconnue par les mâles, probablement grâce à des signaux chimiques. Elle est alors fécondée par un ou plusieurs mâles. Le mâle dépose le sperme dans le marsupium. La copulation, tête bêche, est brève, sans phase de pré-copulation ni de sélection du mâle. Elle a lieu la nuit, peu après la mue de la femelle.

Œufs et larves* se développent à l'abri du marsupium, pendant une durée qui varie suivant la température de l’eau, une eau plus chaude accélérant le développement. Durant ce temps, les œufs, puis les larves sont brossés et ventilés par un courant d'eau produit par les appendices thoraciques. On a également observé des manipulations actives des œufs et larves qui suggèrent d'autres soins.

Une étude danoise fait état de deux générations et d'une période de reproduction sur l'année. La génération apparue à la fin du printemps atteint la maturité sexuelle à l'automne suivant où elle donne naissance à la génération qui passera l'hiver pour se reproduire au printemps. Le cycle de reproduction diffère cependant dans son aire de répartition et, suivant la latitude, une, deux, trois générations ou plus se succèdent sur l'année. Ainsi, on observe généralement une seule génération par an dans le nord de son aire de répartition mais ce nombre augmente vers le sud pour atteindre 3 générations par an au sud de l'Angleterre, tandis qu'une étude parle d'un cycle continu à Roscoff. On a mesuré à Roscoff une durée d'incubation de l'ordre de 12 jours.

A maturité, les larves sont éjectées et entament directement une phase de mue.

Une anecdote amusante. Il peut arriver que des larves immatures soient expulsées accidentellement du marsupium. On a observé des comportements d'adoption, parfois même inter-espèces de ces larves par des femelles dont la portée était incomplète.

Vie associée

Abondants, les mysidés ont une influence significative sur le milieu par leurs prélèvements (larves, semences, nourriture) dans le plancton, mais aussi par leurs déjections.
Ils forment également un maillon d'une chaîne alimentaire courte en reliant le mésoplancton* et les poissons. Ils représentent une part importante de l'alimentation de nombreuses espèces de poissons et de crustacés, y compris certaines espèces d'importance commerciale : bar, maquereau, plie, crevettes... Parmi les prédateurs connus de Praunus flexuosus, il est possible de citer le tacaud Trisopterus luscus, la vieille Symphodus bailloni, le bar Dicentrarchus labrax et le syngnathe de Duméril Syngnathus rostellatus.

Divers biologie

Contrairement à de nombreux autres mysidés qui sont sciaphiles* et vivent en essaims de nombreux individus, Praunus flexuosus est souvent observé en pleine lumière et vit isolé.

La nourriture ingérée est déchiquetée en dehors de la bouche par des mandibules* en particules ingérables. L'estomac comporte plusieurs chambres qui assument le broyage, la digestion chimique et le filtrage des aliments entre fluides directement assimilables et particules dont la digestion se poursuit dans l'intestin avant élimination des résidus.

Les Praunus sont dépourvues de branchies* ; c’est au niveau de la face ventrale de la carapace, mince et fortement vascularisée sur sa face interne qu'a lieu la majorité des échanges gazeux. La création d'un courant d'eau sur la face ventrale par les appendices thoraciques favoriserait ces échanges.

L'appareil circulatoire est composé d'un cœur à deux cavités situé dorsalement dans le thorax et d'un réseau d'artères. Au départ des artères, le sang circule dans des lacunes*. Certaines lacunes situées contre la paroi thoracique permettent les échanges gazeux avant que le sang ne revienne dans la région du cœur par un réseau de sinus. L'excrétion s'effectue essentiellement au niveau des antennes.

P. flexuosus est capable de modifier sa coloration en quelques heures pour mieux se fondre dans le milieu. Cet effet est obtenu en déformant ses chromatophores* sous stimuli hormonaux, ce qui change la couleur ou la réflexion de la lumière. Il est à remarquer que les chromatophores ne déterminent pas à eux seuls la coloration de l'animal. D'autres substances contenues dans les organes sont colorées. D'autre part, compte tenu de la transparence plus ou moins marquée, le contenu du système digestif, les graisses et les œufs peuvent être des éléments colorés visibles. Passer inaperçu ne veut pas dire « ne pas être vu » : des signaux voyants comme ceux présents chez les mysidés peuvent confondre leurs prédateurs ou leurs proies en « cassant » la silhouette.

La spécialisation des différentes espèces de mysidés et leur opportunisme sur le plan alimentaire favorisent leur cohabitation en dépit de niches écologiques fort proches. Comme déjà dit plus haut, une étude a montré que lorsque plusieurs espèces se retrouvent en sympatrie*, elles tendent à spécialiser leur alimentation et réduisent ainsi la concurrence entre elles.

Informations complémentaires

P. flexuosus est originaire d’Europe. Son expansion dans l'Atlantique nord-américain est imputée à une introduction accidentelle par le trafic maritime lié à la seconde guerre mondiale.
P. flexuosus et les mysidés en général sont sensibles à des concentrations faibles de contaminants. Communs, abondants et faciles à capturer, ils sont souvent utilisés pour des études de toxicologie.
Présent à faible profondeur et actif le jour, P. flexuosus est plus familier aux plongeurs que la plupart des autres mysidés, pour certains pourtant plus abondants, mais dont le biotope* et les mœurs réduisent la fréquence des rencontres en plongée.

Origine des noms

Origine du nom français

Le nom français – comme ceux des autres langues – évoque la capacité de l'animal à changer de coloration. Un des premiers noms scientifiques était d’ailleurs Mysis chameleon (J.V. Thompson, 1828).

Origine du nom scientifique

Praunus : dérivé du mot anglais prawn (= crevette)

flexuosus : flexueux, qui est courbé plusieurs fois dans sa longueur.

Classification

Numéro d'entrée WoRMS : 120177

Termes scientifiques Termes en français Descriptif
Embranchement Arthropoda Arthropodes Animaux invertébrés au corps segmenté, articulé, pourvu d’appendices articulés, et couvert d’une cuticule rigide constituant leur exosquelette.
Sous-embranchement Crustacea Crustacés Arthropodes à exosquelette chitineux, souvent imprégné de carbonate de calcium, ayant deux paires d'antennes.
Classe Malacostraca Malacostracés 8 segments thoraciques, 6 segments abdominaux. Appendices présents sur le thorax et l’abdomen.
Sous-classe Eumalacostraca Eumalacostracés Présence d’une carapace recouvrant la tête et tout ou partie du thorax.
Ordre Mysida Mysides
Famille Mysidae Mysidés
Genre Praunus
Espèce flexuosus

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